Peut-on s’abstenir de déposer un acte de cession de parts sociales ou d’actions en déposant en lieu et place le Cerfa 2759 (CGI, 639, 726, 849, 1728) ?
Question d’un client : peut-on s’abstenir de déposer un acte de cession de parts sociales ou d’actions en déposant seulement le formulaire fiscal Cerfa 2759 ?
Réponse : même s’il existe des sanctions en la matière, celles-ci nous semblent exclues dans la mesure où l’assiette et les droits d’enregistrement ont été intégralement déclarés et payés. En revanche, lorsque l’acte doit être enregistré et présenté pour une formalité, il est préférable de l’enregistrer.
Explications : Les cessions de parts sociales ou actions (autres que celles négociées sur une plateforme de négociation) sont soumises à droit d’enregistrement (article 726 du code général des impôts) et doivent être présentées au service départemental de l’enregistrement dans le mois de leur date (articles 635 et 648 du code général des impôts). Lorsque la cession n’est pas constatée par un acte, un formulaire fiscal est déposé : le formulaire fiscal 2759 réservé aux déclarations de cessions de droits sociaux non constatées par un acte (article 639 du code général des impôts).
Il est devenu d’usage de déposer en lieu et place de l’acte de cession de parts sociales ou d’actions le formulaire fiscal 2759. Cette pratique est-elle régulière ?
L’article 849 du code général des impôts impose le dépôt d’un original de l’acte de cession ou de la double-copie pour les actes signés électroniquement. Le défaut de production d’un acte est sanctionné fiscalement (articles 1728 du code général des impôts et L. 66 du code des procédures fiscales), le texte visant le « défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ». La sanction est comprise entre 10 % et 80 % de la base taxable (selon la bonne ou mauvaise foi).
Or, la déclaration Cerfa 2759 constitue une déclaration « comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt » (sauf à ce que l’acte contienne des éléments qui auraient dû être retenus et qui ne l’ont pas été dans le calcul de l’assiette figurant sur le Cerfa 2759 comme les fameuses charges augmentatives du prix visées à la section II de l’article 726 du code général des impôts).
Les sanctions visées à l’article 1728 du code général des impôts précité ayant le caractère d’une punition (Cour de cassation, 22 février 2000, n° 97-17822 et Cour de cassation, 27 juin 2000, n° 97-22351), elles sont d’interprétation stricte. Or, le texte ne vise que le défaut de production d’une déclaration ou d’un acte « comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt » et non la production d’une déclaration qui ne correspondrait pas à la situation donnée (en l’espèce une cession à « défaut d’actes »).
Ou bien est-on alors dans la sanction de l’article 1729 B du code général des impôts qui vise « Le défaut de production dans les délais prescrits d'un document qui doit être remis à l'administration fiscale, autre que ceux mentionnés aux articles 1728 et 1729 ». Dans ce cas, une amende de 150 € s’appliquerait.
L’article 639 du code général des impôts (qui prévoit le dépôt du formulaire 2759 à défaut d’acte constatant la cession) trouve son origine dans l’article 6, section IV, paragraphe 2 de la loi n° 69-1168 du 26 décembre 1969 portant simplifications fiscales (Journal officiel de la République française, 28 décembre 1969, p. 12668) . L’origine de cet texte est expliquée dans le rapport n° 52 du sénateur Pellenc du 18 novembre 1969 (p. 29) en ces termes (mis en gras par nous) : « L'exigibilité du droit de cession de droits sociaux est subordonnée à la rédaction d'un acte formant le titre de la mutation ; afin d'éluder la perception de l'impôt, les cessions de parts sociales sont fréquemment réalisées par voie de simples transferts sur les registres sociaux, ce qui d'ailleurs, en ce qui concerne les cessions de parts de sociétés commerciales, est contraire à la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales. En vue de rétablir la neutralité fiscale en la matière, il est prévu que les cessions de parts sociales sont soumises à l'impôt même lorsqu'elles ne sont pas constatées par des actes. Bien entendu, cette disposition n'est pas applicable aux cessions d'actions. ». On comprend donc que c’est parce que l’exigibilité du droit d’enregistrement dépendait d’un acte que ces dispositions ont été introduites dans le droit français. En d’autres termes, le législateur a souhaité traiter fiscalement une même situation qu’il y ait ou non un acte. Ce n’est donc pas l’acte (l’instrumentum) que le législateur cherchait à contrôler mais l’opération, à savoir, la cession (le negotium) quelque soit son support.
Le dépôt de la déclaration 2759, en lieu et place de l’acte, a justement pour objet de déclarer l’opération et, de ce fait, de ne pas éluder le droit. Il ne faut donc pas être trop formaliste en la matière.
La solution était différente auparavant et l’impératif de l’enregistrement de l’acte (au lieu du Cerfa 2759) pouvait se comprendre lorsque les droits de timbre étaient applicables sur chaque page (article 899 du code général des impôts). Mais les droits de timbre ont été supprimés par la loi de finance rectificative pour 2004 (article 95) par mesure de simplification (voir sur ce point Rapport n° 114 du sénateur Mariani du 15 décembre 2004, p. 197).
Dès lors que l’opération est déclarée, que l’assiette déclarée est juste et que les droits sont payés, rien ne s’opposerait, selon nous, à ce que le dépôt de l’acte puisse être substitué par le dépôt du formulaire Cerfa n° 2759. D’autant plus que, si l’administration décidait d’appliquer les sanctions fiscales, le juge saisi de la contestation exercerait, sur le fondement du 1 de l'article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme relatives au procès équitable, un contrôle lui permettant de se prononcer sur le principe et le montant de la sanction notamment la proportionnalité de la sanction au regard du comportement du contribuable (Cour de cassation, 22 février 2000, précité).
A noter : l’administration fiscale dans son FAQ (voir page 7) sur l’enregistrement en ligne des cessions de droits sociaux non constatées par un acte indique qu’en cas d’acte, l’acte doit être enregistré sans expliquer les sanctions. La procédure d’enregistrement en ligne (voir notre article) ne s’appliquerait donc qu’aux cessions non constatées par un acte.
En revanche, attention, certains greffes appliquant les textes à la lettre, lorsque l’acte de cession doit être déposé au greffe pour les besoins d’une formalité et que celui-ci doit être préalablement enregistré, il convient d’enregistrer l’acte pour que la formalité ne soit pas rejetée.
A noter : un acte de cession de parts sociales reste valable même en l’absence d’un écrit (Cour de cassation, 4 juillet 2024, n° 23-10.534).
Avocat au barreau de Paris