Les formalités de cession de parts sociales : société civile/SARL quelles différences ?

Malgré leur nature identique, les cessions de parts sociales de société civile et de société à responsabilité limitée ne sont pas soumises aux mêmes formalités.

Important : voir aussi notre article sur les formalités préalables à peine de nullité : Cession de parts sociales (SCI, SARL) ou d’actions et purge de l'agrément : le formalisme préalable, inévitable et obligatoire (1861, L. 223-14, L. 228-23).

Mise à jour : pour effectuer les formalités dématérialisées, voire notre article : Dépôts en ligne (SAS, SARL, SCI) : création de société, modification, dépôts des comptes, dépôt d’acte, radiation, déclaration des bénéficiaires effectifs, enregistrement, s'y retrouver !

Cession de parts sociales de sociétés civiles

Article 1865 du code civil

Opposabilité à la société

La cession est opposable à la société soit par la signification qui lui est faite par acte d’huissier (ou acceptée par elle dans un acte authentique) conformément à l’article 1690 du code civil, soit, si les statuts le stipulent, par transfert sur les registres de la société (sur ce registre voir article 51 du décret n° 78-704).

A noter : la modifications des statuts en assemblée générale rendrait opposable la cession de parts sociales à la société (Cour de cassation, 19 septembre 2007, n° 06-11.814)

Opposabilité aux tiers

La cession est opposable aux tiers qu’après l’opposabilité à la société (voir ci-dessus) et dépôt en annexe au registre du commerce et des sociétés de l'original de l'acte de cession s'il est sous signature privée ou d'une copie authentique de celui-ci s'il est notarié (article 52 du décret n° 78-704).

A noter : la publication des statuts modifiés rendrait opposable la cession vis-à-vis des tiers (Cour de cassation, 18 décembre 2007, n° 06-20.111). En d’autres termes, la modification des statuts et leur publication absorberait les deux formalités d’opposabilité à la société et aux tiers.

Pratique illicite : certains greffes se croient permis de rejeter la formalité aux motifs que l’acte n’est pas enregistré ou que la formalité n’est pas accompagnée d’une formalité modificative des statuts. Cette pratique est tout simplement illicite dans certains cas. S’agissant de l’enregistrement préalable, seules les parts sociales de sociétés civiles à prépondérance immobilière sont concernées par l’enregistrement (combinaison des articles 862 et 635 du code civil et avis du comité de coordination du registre du commerce et des sociétés n° 94-46). Aucun texte n’impose de telles conditions pour les parts des autres sociétés civiles (par exemple société civile de moyens, société civile de portefeuilles de valeurs mobilières). Il en va de même pour la modification des statuts qu’elle que soit la société civile (voir avis du comité de coordination du registre du commerce et des sociétés qui ne mentionnent jamais ces conditions: avis n° 2013-014 et 2019-002 et Réponse ministérielle n° 923 à M. Le Douarec, Journal officiel de l’Assemblée nationale, Questions, 16 octobre 1968, p. 3327). Pire, une telle pratique vient retarder vis-à-vis des tiers la décharge de responsabilité indéfinie des associés de ces sociétés civiles (1857 du code civil.) En effet le seul dépôt de l’acte rend opposable la cession aux tiers (Cour de cassation, 18 septembre 2024, n° 22-24-646 : « [la] publication [de l’acte] au registre du commerce et des sociétés [...] n'est destinée qu'à assurer l'opposabilité de cet acte aux tiers [...] »). La responsabilité civile professionnelle du ou des greffiers (personne privée investie d’une mission de service public) pourrait ainsi être recherchée en cas de dommage pour le cédant du fait du retard dans la publication résultant de cette pratique illicite.

Voir également nos articles Cession de parts de SCI : droit de préemption urbain et unité foncière (L. 213-1 du code de l'urbanisme) et L’apport de la majorité des parts sociales d’une société civile immobilière (SCI) est-il soumis au droit de préemption urbain (L. 213-1 du code de l’urbanisme) ?

Cession de parts sociales de sociétés à responsabilité limitée (SARL)

Articles L. 223-17 et L. 221-14 du code de commerce.

Opposabilité à la société

La cession est opposable à la société soit par la signification qui lui est faite par acte d’huissier (ou acceptée par elle dans un acte authentique) conformément à l’article 1690 du code civil, soit par le dépôt qui lui est fait d’un original de l’acte (sans qu’il soit besoin d’être préalablement enregistré) au siège social contre remise par le gérant d’une attestation.

A noter : la modification des statuts en assemblée générale par exemple rendrait opposable la cession de parts sociales à la société (Cour de cassation, 3 mai 2000, n° 97-19182).

Opposabilité aux tiers

La cession est opposable aux tiers qu’après l’opposabilité à la société (voir ci-dessus) et, depuis la réforme de l’ordonnance n° 2014-863, le dépôt au registre du commerce et des sociétés des statuts modifiés (auparavant la formalité consistait à déposer en “annexe” au registre du commerce et des sociétés, deux expéditions de l'acte de cession, s'il était établi dans la forme authentique, ou de deux originaux, s'il était sous signature privée).

A noter : sur l’absence de nécessité de conserver le préambule des statuts, voir avis n° 2016-021 du comité de coordination du registre du commerce et des sociétés de 2019.

Question pratique : qui modifie les statuts ? Le gérant peut-il modifier seul les statuts ou faut-il une décision des associés ? Dans les SARL, seuls les associés peuvent modifier les statuts (L. 223-30). Pourtant, l’article R. 221-9 du code de commerce modifié en 2015 prévoit qu’en cas de défaut de dépôt des statuts modifiés le cédant ou le cessionnaire peut mettre en demeure le gérant de le faire sous 8 jours. Or, ce délai est incompatible avec le délai de convocation des associés dans les SARL qui est de 15 jours (R. 223-20) auquel il faudrait ajouter le délai de dépôt au registre du commerce et des sociétés. Le pouvoir réglementaire aurait certainement repris le mécanisme de l’article R. 223-12 du code de commerce (concernant la procédure d’agrément d’un tiers) s’il avait voulu procéder par voie de mise en demeure du gérant d’avoir à convoquer les associés. En laissant 8 jours au gérant pour publier les statuts modifiés cela ne signifie-t-il pas que le gérant peut modifier seul les statuts ? Il nous semble que oui. D’autant plus qu’on peut se demander ce qu’il se passerait si les associés refusaient de modifier les statuts ? Malgré tout, à ce jour, les greffes demandant comme pièce justificative un exemplaire en copie de la décisions des associés de modification de la répartition des parts sociales, une décision des associés serait donc nécessaire pour que la formalité soit acceptée.

Si le gérant ne s’exécute pas à l’issue de la mise en demeure (donc s’il ne convoque pas les associés pour modifier les statuts et dépose les statuts modifiés au registre du commerce et des sociétés), le cédant ou le cessionnaire peut, en justifiant de la saisine du président du tribunal en application de l'article L. 123-5-1 (référé) ou de l'article L. 210-7 (demande en justice), déposer au registre du commerce et des sociétés contre récépissé l'acte de cession de parts sociales . A titre conservatoire et jusqu'à la décision du tribunal, ce dépôt rend la cession opposable aux tiers (sous réserve que les formalités d’opposition à la société aient bien été faites).

A noter : Une procédure plus simple consisterait à procéder à la formalité “pour compte de tiers” prévue à l’article R. 123-87 du code de commerce, le cédant ou le cessionnaire ayant un “intérêt ”. Toutefois, cette procédure ne vise que les inscriptions modificatives ou radiation ce que la modification des statuts n’entraîne pas nécessairement et cela constituerait certainement pour les greffes un détournement de la procédure plus contraignante de l’article R. 221-9 précitée.

L’article L. 123-3 du code de commerce offre également la possibilité de saisir le juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés pour qu’il enjoigne “à toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés qui ne les aurait pas requises dans les délais prescrits, de faire procéder soit aux mentions complémentaires ou rectifications qu'elle doit y faire porter, soit aux mentions ou rectifications nécessaires en cas de déclarations inexactes ou incomplètes, soit à la radiation”. Mais là encore, la modification des statuts n’entraîne pas nécessairement une modification des mentions (voir un arrêt récent qui ouvre la saisine à un ancien associé et donc à toute personne qui a un intérêt à saisir le juge, Cour de cassation, 9 septembre 2020, n° 19-15.422).

Une autre procédure pourrait également être envisagée, celle de l’article L. 210-7 du code de commerce (action en régularisation sous astreinte). Mais cette procédure ne serait concevable que si un dépôt irrégulier des statuts a été fait depuis le précédent dépôt intervenu avant la cession (dépôt de nouveaux statuts qui n’indiqueraient pas la nouvelle répartition des parts sociales).

A noter que certaines actions en justice prévues par certains textes du code de commerce ne requièrent pas nécessairement l’”intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention” de l’article 31 du code de procédure civile (par exemple, Cour de cassation, 3 avril 2012, 11.17-130 : “l’action tendant à assurer l'accomplissement des formalités de publicité incombant aux sociétés commerciales en application des dispositions de l'article L. 232-23 du code de commerce est, sauf abus, ouverte à toute personne, sans condition tenant à l'existence d'un intérêt particulier “).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris