Fusion entre société par actions et société civile : faut-il désigner un commissaire à la fusion ou aux apports (L. 236-10, L. 225-147) ?

Question d’un client : faut-il désigner un commissaire à la fusion ou aux apports dans le cadre d’une fusion entre une société par actions (SAS par exemple) et une société civile ?

Réponse : il n’est pas obligatoire de désigner un commissaire à la fusion mais il peut être recommandé de désigner un commissaire aux apports si la société absorbante est la société par actions.

! Attention ! Entrée en vigueur de l’ordonnance n° n° 2023-393 renumérotant les articles du code de commerce sur les fusions (voir notre article), cet article n’a pas encore été mis à jour.

Explications : ainsi que le rappelle l’avis n° 08-08 du 10 février 2009 du comité de coordination du registre du commerce et des sociétés “Les dispositions de l’article L. 236-10 du code de commerce relatif à la désignation d’un commissaire à la fusion ne sont pas applicables à la fusion d’une société commerciale avec une société civile”. Une telle désignation n’est en effet prévue par les textes que pour les fusions entre sociétés par actions (L. 236-8 et L. 236-10), les sociétés à responsabilité limitée (L. 236-8 anciennement L. 236-23), ou entre les sociétés par actions et les sociétés à responsabilité limitée (L. 236-2).

Le III de l’article L. 236-10 du code de commerce (inséré aux termes de l’article 8 de la loi n° 2008-649 du 3 juillet 2008 portant diverses dispositions d'adaptation du droit des sociétés au droit communautaire) dispose que “Lorsque l'opération de fusion comporte des apports en nature ou des avantages particuliers, le commissaire à la fusion ou, s'il n'en a pas été désigné en application du II, un commissaire aux apports désigné dans les conditions prévues à l'article L. 225-8 établit le rapport prévu à l'article L. 225-147.”. L’hypothèse visé par le texte est l’absence de désignation d’un commissaire à la fusion “en application du II” de l’article L. 236-10, c’est-à-dire si les actionnaires ont décidé de “ne pas faire désigner un commissaire à la fusion […] à l'unanimité”. Or, dans notre cas, l’hypothèse est différente, puisque c’est la loi qui n’a pas prévu cette désignation. Par ailleurs, l’article L. 236-10 du code de commerce ne s’applique pas aux fusions entre société par actions et société civile. Enfin, si le législateur a pris le soin de le préciser pour les sociétés par actions, c’est que justement cela est exclut pour les autres types de fusion notamment entre société par actions et société civile (sinon ce principe aurait été inséré dans les dispositions générales sur les fusions des articles L. 236-1 à L. 236-7.).

Dans le cadre d’une fusion entre une société par actions (absorbante) et une société civile (absorbée), un arrêté de la cour d’appel de Paris (cour d’appel de Paris, 3è chambre, 21 septembre 2001, arrêt n° 2001/18352, pour une discussion sur l’arrêt voir un ancien article de Stéphane Sylvestre) a ainsi écarté la désignation d’un commissaire aux apports aux motifs qu’elle n’était prévue qu’en cas de fusion simplifiée (voir en effet les anciennes dispositions de l’article L. 236-11 dans leur rédaction antérieure à la loi précitée de 2008). Le raisonnement pourrait être aujourd’hui le même en visant le III de l’article L. 236-10 (toutefois en visant les fusions simplifiés, la cour d’appel visait une opération qui n’entraînait pas d’augmentation de capital).

Néanmoins, certains auteurs pensent que lorsque la société absorbante est une société par actions, les dispositions de l’article L 225-147 du code de commerce devraient retrouver à s’appliquer dès lors que la fusion entraîne une augmentation de capital du fait d’apports en nature (débat sur le régime autonome des dispositions sur la fusion ou leur complémentarité avec celles relatives aux augmentations de capital). En revanche, pour la société civile, aucun texte n’impose une procédure de contrôle en cas d’apport en nature (du fait notamment de la responsabilité indéfinie des associés). Donc lorsque la société civile est la société absorbante il ne serait pas requis de désigner un commissaire aux apports.

La prudence recommanderait donc de désigner un commissaire aux apports seulement pour les fusions dont la société absorbante est une société par actions (et lorsque les apports résultant de la fusion incluent des apports en nature).

A noter : cette interprétation vient de plus en plus en contradiction avec la nature de la fusion du fait que de nombreux auteurs estiment que la fusion n’entraîne pas un apport à proprement parler (en ce sens, A. Bonnasse, Fusions-scisisons : réalisation des fusions et scissions, JurisClasseur Sociétés Traité, fasc. 162-10, §. 8, 25 et 26 : “la fusion ou la scission ne constituant pas un apport au sens strict”).

 

 Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris

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