Lanceur d'alerte dans les groupes de sociétés : la procédure peut-elle être centralisée ? (L. 2016-1691, L. 2022-401, D. 2022-1284)
Question d’un client : la procédure relative au lanceur d’alerte applicable aux sociétés employant au moins 50 salariés peut-elle être centralisée au sein d’un groupe ?
Réponse : oui.
Explications : on sait que, depuis la transposition de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, les personnes morales de droit privé et les entreprises exploitées en leur nom propre par une ou plusieurs personnes physiques, employant au moins cinquante salariés sont tenues d'établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements (article 8, I, B, 3° de la loi n° 2016-1691 telle que modifiée par la loi n° 2022-401).
A noter : pour le calcul du seuil de 50 salariés, voir l’article 2, I du décret n° 2022-1284.
La loi précise également que la procédure de recueil et de traitement des signalements peut être commune à plusieurs ou à l'ensemble des sociétés d'un groupe (article 8 de la loi n° 2016-1691 précité, §. I, C.).
A noter : cette précision vient d’un amendement de la commission des lois du Sénat (amendement n° COM-26) dont les motifs sont notamment les suivants : “La mise en place dans chaque société d'un même groupe d’une procédure interne de signalement provoquerait des coûts supplémentaires. Surtout, elle réduirait l’efficacité du système d’alerte, à défaut pour chaque société de disposer en interne de l’expertise nécessaire pour assurer un traitement efficace des signalements. Elle rendrait difficile, voire impossible, la tenue de tableaux de bord exhaustifs au niveau de la société mère et, partant, le reporting auprès de ses organes de gouvernance”. Voir également la remarque figurant dans le rapport n° 4979, 480 et 424 de la commission mixte paritaire : “Dans le monde économique, la possibilité, pour un groupe, d'organiser une unique procédure était une véritable demande. Une réunion s'est tenue la semaine passée entre la Défenseure des droits et des avocats, qui demandaient qu'on leur permette de rationaliser tout cela. Cette idée, vous l'avez proposée, madame la rapporteure. Nous l'avons acceptée, et adaptée ensemble.”.
A noter : cette possibilité de centraliser la procédure vient en plus de celle prévue pour les entités employant moins de 250 salariés de mettre en commun leurs procédures de recueil et de traitement des signalements (article 8 de la loi n° 2016-1691 précité, §. I, B. 8ème alinéa et article 7, II du décret n° 2022-1284).
Les modalités de recueil et de traitement des signalements au sein du groupe sont fixées par l’article 8 du décret n° 2022-1284, notamment la procédure est diffusée par l’entité du groupe concernée (maison-mère généralement) aux entités du groupe en précisant sous quelles conditions et selon quelles modalités celles-ci peuvent lui adresser leur signalement.
A noter : on peut se demander si l’entité qui centralisée peut elle-même externalisée le recueil et le traitement auprès d’un tiers comme un avocat par exemple (cette possibilité est certes prévue au B de l’article 8 de la loi précitée mais semble de portée générale).
Question pratique : si l’entité centralisatrice n’est pas une entité française, il faudra que la procédure soit a minima conforme aux prescriptions de la législation française (si la société française est tenue de mettre en place la procédure), ceci d’autant plus si la société centralisatrice n’est pas une société de l’Union européenne comme une entité du Royaume-Uni par exemple (même pour les entités de l’Union européenne il conviendra de vérifier la conformité de la procédure de l’entité centralisatrice avec la législation française, car s’agissant de la transposition d’une directive, les Etats membre bénéficient une certaine marge de manœuvre).
La notion de groupe s’entend, selon ces mêmes disposions réglementaires, au sens de l’article L. 233-16 du code de commerce.
A noter : pour le sens du renvoi à l’article L. 233-16, voir notre article concernant une autre disposition légale. En l’espèce, le fait d’avoir renvoyé expressément à toute “entité appartenant au même périmètre de consolidation” nous amène à nous interroger si les dispositions s’appliqueraient à un groupe de sociétés dont les comptes ne seraient pas consolidés. Selon nous, le texte réglementaire a ajouté à la loi puisque la loi vise le “groupe” au sens large et n’habilite le pouvoir réglementaire que pour fixer les modalités de la procédure de recueil et de traitement des signalements ainsi que les conditions dans lesquelles des informations relatives à un signalement effectué au sein de l'une des sociétés d'un groupe peuvent être transmises à une autre de ses sociétés. La loi n’a donc pas laissé au pouvoir réglementaire le soin de définir la notion de groupe.
A noter : le guide du lanceur d’alerte 2023 du défenseur des droits n’évoque pas la procédure intra groupe.
Avocat au barreau de Paris