Le nouveau régime de reconstitution des capitaux propres (C. com., L. 225-248, L. 223-42, R. 223-37, R. 225-166-1)

L’article 14 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture est venu modifier le régime de reconstitution des capitaux propres (société par actions : L. 225-248 ; société à responsabilité limitée : L. 223-42) lorsque ceux-ci sont inférieurs à la moitié du capital social.

A noter : initialement, la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales avait fixé ce seuil à trois quarts. Celui-ci a été réduit à un quart par la loi n° 69-12 du 6 janvier 1969. Le seuil actuel est issu de la loi n° 81‑1162 du 30 décembre 1981 et s’applique depuis le 1er janvier 1982. Le seuil ne peut plus être supérieur à la moitié du capital social (article 58, directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés).

A noter : la règle du niveau des capitaux propres “s'explique par la nécessité de maintenir un gage suffisant aux créanciers et par la fourniture d'une information crédible aux tiers. Dans les sociétés où les associés ne sont responsables qu'à hauteur du montant de leurs apports, et non sur leur patrimoine personnel, le capital social constitue en principe la première garantie pour les créanciers et leur permet d'évaluer la consistance de leur gage. Certes, ce principe doit être relativisé à l'aune de la diversification des techniques de financement et de sources de garanties des créanciers.” (voir Premier ministre, étude d’impact sur le projet de loi).

Selon un étude de l’Observatoire du financement des entreprises de mai 2021, le capital social représente 35 % des fonds propres des TPE, 33,5 % des PME (hors TPE) et 20,7 % des grandes entreprises ; le reste est constitué des réserves et des primes d'émission. Le rapport note que les augmentations de capital représentent 60 % de l'augmentation des capitaux propres des grandes entreprises avant la crise. Avant la crise de la Covid 19, la situation de fonds propres inférieurs à 100% du capital social représente 18 % des TPE ; 9 % des PME ; 5 % des ETI ; 2 % des grandes entreprises, de fonds propres inférieurs à 50% du capital social (seuil légal) : 21% des TPE, de fonds propres sur total sur total du bilan : 36 % PME (ie, capital social environ 10 % du total du bilan) ; 32 % grandes entreprises (ie, capital social  6-7% du total du bilan).

Les raisons de la réforme

Le Gouvernement a considéré que les anciennes dispositions constituaient une “surtransposition de la directive” et que les entreprises françaises font « face à un risque de dissolution excessif et considérablement accru comparativement aux entreprises d’autres États membres » (exposé des motifs de la loi).

A noter : ce nouveau régime tend à rapprocher ainsi le régime français du régime applicable en Allemagne ou aux Pays-Bas (et au Royaume-Uni avant la sortie de l’Union européenne) qui ne prévoit pas la dissolution comme sanction.

A noter : sur la notion de surtransposition des directives, voir rapport d'information n° 532 de la Commission des lois de l'Assemblée nationale du 21 décembre 2017 sur les moyens de lutter contre la surtransposition des directives européennes dans le droit français.

L’objectif de la réforme

La réforme a pour objet d’aligner le cadre juridique français sur la directive européenne, et d’assouplir le risque de dissolution pesant sur les sociétés de droit français en permettant à ces dernières de conserver une incitation à reconstituer leurs fonds propres. Elle propose ainsi une sanction adaptée et proportionnée, qui supprime le risque excessif de dissolution automatique mais maintient une sanction permettant de conserver un dispositif cohérent. Il subsiste “une simple incitation à reconstituer [les] fonds propres, puisque l’assemblée générale devra toujours se prononcer sur la dissolution ou la poursuite de l’activité” (Assemblée nationale, Rapport n° 748 fait au nom de la commission des affaires sociales).

Nous allons donc voir que la sanction de la dissolution a été remplacée par l'obligation d'apurer les pertes par une réduction du capital social, jusqu'à un minimum. Si cette réduction est faite, alors il n'y aurait plus de sanction de dissolution, malgré le fait que les capitaux propres ne soient pas égaux ou supérieurs à la moitié du capital social.

Cette obligation de réduction de capital demeure incitative pour les actionnaires, dont le capital social serait réduit au minimum. Elle fournit également un signal et une information importante pour les tiers et pour les créanciers, qui auront la connaissance d'un capital social très réduit.

L'objectif est donc de permettre que le capital social soit réduit à une valeur permettant de ne pas donner aux tiers l'idée d'une surface financière qui soit trop décorrélée de la réalité.

Le nouveau régime de reconstitution des capitaux propres

Etape 1 : la constatation et la décision de poursuivre ou non l’activité

Sous les anciennes et nouvelles dispositions du code de commerce, l’organe compétent (conseil d’administration, directoire, président, gérant, etc.) est toujours tenu, dans les 4 mois qui suivent l’approbation des comptes au cours de laquelle il a été constaté un niveau de capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social, de provoquer une décision du ou des associés pour décider s’il y a lieu à dissolution anticipée de la société (alinéa 1).

Etape 2 : la régularisation (2 exercices) : reconstituer les capitaux propres ou réduire le capital

L’objectif des règles sur la reconstitution des capitaux propres est de ne pas faire croire aux tiers que la société dispose d’un capital décorrélé du niveau de ses capitaux propres (le capital fait partie des mentions obligatoires devant figurer sur les papiers commerciaux, contrairement aux capitaux propres qui fluctuent avec l’activité et qui ne peuvent être connus qu’en consultant les comptes de la société pour autant que ceux-ci soient déposés et ne soient pas soumis à la confidentialité).

Sous les anciennes dispositions du code de commerce, si la dissolution n’avait pas été prononcée, le ou les associés avaient deux options au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constations des pertes était intervenue : soit reconstituer les capitaux propres à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social soit réduire le capital social du montant des pertes qui n’avaient pu être imputées sur les réserves (sous réserve pour les sociétés anonymes et les sociétés en commandité par actions que le capital social soit au moins égal au minimum légal) (alinéa 2).

A noter : on ne le répétera jamais assez, l’échéance démarre au cours de l’exercice au cours duquel la perte est constatée (donc schématiquement de l’exercice d’arrêté ou d’approbation des comptes) et non de l’exercice faisant apparaître cette perte. Par exemple, si la perte résulté de l’exercice 2022, qu’elle est constatée au cours de l’exercice 2023, l’échéance prend fin (pour un exercice se clôturant le 31 décembre) en 2025 (N+3).

Avec les nouvelles dispositions, le ou les associés ont toujours deux options au cours de la période précitée qui ne change pas : soit reconstituer les capitaux propres à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social soit (sous la même réserve de capital social légal minimum pour les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions) réduire le capital social “du montant nécessaire pour que la valeur des capitaux propres soit au moins égale à la moitié de son montant” (nouvel alinéa 2).

A noter : la différence entre l’ancien et le nouveau régime est donc le montant de la réduction de capital. Alors que l’ancien régime prévoyait une réduction équivalente au montant des pertes qui n’avaient pu être imputées sur les réserves, le nouveau régime limite la réduction pour que la valeur des capitaux propres soit au moins égale à la moitié de son montant.

A noter : sur les conditions de majorité de la décision des associés, voir notre article.

Nouveautés fondamentales, les nouvelles dispositions prévoient d’abord et dorénavant une nouvelle période de deux exercices supplémentaires à l’issue de l’échéance des deux premiers exercices visée ci-dessus. Elles écartent ensuite la dissolution dans certains cas.

Etape 3 : La situation intermédiaire (4 exercices) : la réduction du capital social à un niveau égal ou inférieur à un seuil réglementaire

En effet, si les capitaux propres n’ont pas été reconstitués à concurrence de la moitié du capital social mais que le capital social est supérieur à un montant qui sera fixé par décret, la société sera alors tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant la première échéance (N+5), de réduire son capital (sous la même réserve de capital social légal minimum pour les sociétés anonymes) pour le “ramener à une valeur inférieure ou égale à ce seuil” (nouvel alinéa 4). La sanction de la dissolution est, dans ce cas, écartée dès lors que la société dispose d’un montant de capitaux propres (et de capital social) minimum et qu’elle a procédé à la réduction de capital.

A noter : voir les commentaires du Gouvernement sur ce nouveau régime : “Si cette réduction est faite, alors il n'y aurait plus de sanction de dissolution, malgré le fait que les capitaux propres ne soient pas égaux ou supérieurs à la moitié du capital social. Cette obligation de réduction de capital demeurerait incitative pour les actionnaires, dont le capital social serait réduit au minimum. Ainsi, il est proposé de fixer un seuil qui serait suffisamment bas pour permettre que le capital social soit réduit à une valeur permettant de ne pas donner aux tiers l'idée d'une surface financière qui soit trop décorrélée de la réalité, mais suffisamment haut pour ne pas poser les difficultés citées [dissolution]” (exposé des motifs de la loi).

Le seuil pour les sociétés à responsabilité limitée (SARL) est de 1,00 % du total du bilan (du dernier exercice) de la société (R. 223-37). Pour les sociétés par actions, notamment les sociétés par actions simplifiées (SAS), il faut distinguer deux cas (R. 225-166-1) : cas le plus fréquent, lorsque les dispositions législatives et réglementaires n'imposent pas de capital social minimal (en raison de la forme de la société), 1,00 % du total du bilan (du dernier exercice) de la société. Dans le cas contraire, il faut prendre la valeur la plus élevée entre 1,00 % du total du bilan (du dernier exercice) de la société et le montant de capital social minimal associé à la forme sociale.

A noter : on remarquera que les textes visent le capital social minimum en raison de la forme de la société et non de son activité. Il existe en effet des dispositions légales qui imposent un capital social minimum pour une activité. Cette précision est donc importante.

Etape 4 : la prolongation (6 exercices et plus) : l’augmentation de capital et la réduction du capital social à un niveau égal ou inférieur à un seuil réglementaire

Les nouvelles dispositions introduisent un cinquième alinéa redonnant une nouvelle période de deux exercices en cas d’augmentation de capital suivant la réduction au seuil réglementaire minimum, si les fonds propres n’ont pas été entretemps reconstitués (à un niveau égal à la moitié du capital social selon notre compréhension). Cette période démarre à compter de l’augmentation de capital et prend fin à la clôture du deuxième exercice celui au cours duquel a eu lieu cette augmentation de capital (voir notamment notre article sur la date juridique d’une augmentation de capital en numéraire). Après le serpent monétaire, il y aurait donc un “serpent de capitaux propres” (c’est-à-dire une zone de capitaux propres fluctuante entre le seuil minimum et la moitié du capital social).

Etape 5 : la demande de dissolution

La demande de dissolution ne peut intervenir que dans les cas suivants (alinéa 6) : les associés ne se sont pas prononcés sur la poursuite de l’activité dans les quatre mois (Etape 1) ou absence de réduction du capital social à un seuil inférieur ou égal au seuil réglementaire (Etape 3).

A noter : l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) considère que la dissolution est définitivement écartée si le montant du capital social est inférieur ou égal au seuil réglementaire (comite juridique 23-038 du 4 octobre 2023).

Etape 6 : la dernière chance

Dans tous les cas, comme pour l’ancien régime applicable, le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. Il ne peut prononcer la dissolution, si, au jour où il statue sur le fond, cette régularisation a eu lieu.

Conclusions

En conclusions, la réforme peut être résumée ainsi : lorsque le niveau des capitaux propres de la société est inférieur à la moitié du capital social, les associés doivent se prononcer sur la dissolution de la société et, si la dissolution n’a pas été prononcée et que par la suite (à l’issue d’une première échéance de deux exercices), ce niveau n’est toujours pas reconstitué, la dissolution ne peut être ordonnée que si le capital social n’a pas été réduit à un seuil minimum réglementaire (dans la grande majorité des cas 1,00 % du bilan) dans les deux exercices qui ont suivi la première échéance.

Exemple : soit des comptes au 31 décembre 2022 comptabilisant un niveau de capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social constatés lors de l’approbation des comptes au 30 juin 2023, la société (les associés) a :

  • jusqu’au 31 décembre 2025 au plus tard, pour reconstituer les capitaux propres à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social ou réduire le capital social du montant nécessaire pour que la valeur des capitaux propres soit au moins égale à la moitié de son montant ou, pour éviter tout risque de dissolution,

  • jusqu’au au 31 décembre 2027 au plus tard, pour réduire son capital au montant minimum réglementaire.

    Si une augmentation de capital est intervenue le 10 octobre 2027 mais que les capitaux propres sont toujours inférieurs à la moitié du capital social, la société peut à nouveau réduire son capital au montant minimum réglementaire au plus tard le 31 décembre 2029 et ainsi de suite.

Voir aussi notre précédent article : La reconstitution des capitaux propres et la responsabilité des dirigeants (L. 223-42, L. 225-248).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris