SAS, SARL, SA : la solidarité de plein droit dans les cessions de parts sociales, d'actions et autres valeurs mobilières

Deux arrêts récents de la Cour de cassation viennent rappeler qu’il peut exister notamment dans les cessions de parts sociales (SARL) ou d’actions (SAS, SA, etc.) une solidarité entre certaines parties alors même qu’aucune clause du contrat ne le prévoit expressément.

Rappel des principes

Il existe deux sortes de solidarité. La solidarité dite active (solidarité entre créanciers) et la solidarité dite passive (solidarité entre débiteurs). La solidarité active permet à un créancier d’obtenir le paiement de l’intégralité de la créance (1311). La solidarité passive oblige chaque débiteur à toute la dette (1313). Dans les deux cas, la solidarité ne se présume pas, c’est-à-dire qu’elle doit être expressément prévue (1310, anciennement 1202).

Toutefois, en matière commerciale, la solidarité passive est de droit (Cour de cassation, 18 juillet 1929, n° 156 : “de règle” ; 16 janvier 1990, n° 88-16.265 : “de plein droit”). Elle n’a donc pas besoin d’être prouvée.

A noter : cette solidarité passive provient de l’idée, défendue notamment par Pothier, que des personnes qui font une affaire en commun sont engagés solidairement comme ils le seraient dans une société (tacite). On retrouve ce principe dans l’article 7 du titre IV de l’ordonnance de Colbert de 1673, puis les anciens articles 22 et 452 du code de commerce de 1807. Cette idée confirmée lors des débats qui ont précédé l’adoption. en 1804 de l’ancien article 1202 du code civil fut reprise dans un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation du 24 janvier 1876 (“il est de principe que, dans les sociétés de commerce, les associés sont tenus solidairement des dettes sociales”, sur ces questions, voir l’ouvrage ici, p. 22 et suivants). C’est un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation du 20 octobre 1920 qui confirma cette solidarité passive entre commerçants sur la base des motifs suivants : “Attendu que l'article 1202 du code civil est sans application dans l'espèce ; qu'en effet, suivant un usage antérieur à la rédaction du code de commerce et maintenu depuis, les tribunaux de commerce sont conduits à considérer que la solidarité entre débiteurs se justifie par l'intérêt commun du créancier qu'il incite à contracter et des débiteurs dont elle augmente le crédit”.

A noter : il ne s’agit pas d’une présomption comme on peut le lire trop souvent mais d’une règle de droit qui s’impose aux magistrats (sur la différence, voir notamment Commentaire du code de commerce et de la législation commerciale, 1856, p. 31).

Or, une cession de contrôle d’une société commerciale est considérée comme de nature commerciale (Cour de cassation, 28 novembre 1978, n° 77-12.609), même si les parties n’ont pas la qualité de commerçants (Cour de cassation, 28 novembre 2006, n° 05-14.827), entraînant notamment comme conséquence la solidarité passive (cession de contrôle : Cour de cassation, 28 novembre 1978, précité, 28 avril 1987, n° 85-17.093 ; cession portant sur la totalité : Cour de cassation, 16 janvier 1990, n° 88-16.265).

A noter : la nature commerciale de l’acte entraîne également la compétence des tribunaux de commerce (Cour de cassation, 26 mars 1996, n° 94-14.051) ou l’admission des clauses compromissoires normalement exclues vis-à-vis des non-commerçants (Cour de cassation, 22 octobre 2014, n° 13-11.568).

La solidarité passive concerne aussi bien les vendeurs (cédants) que les acquéreurs (cessionnaires), pour leur obligation respective, qu’ils soient majoritaires ou minoritaires (pour un cédant minoritaire : Cour de cassation, 28 avril 1987, précité ; pour un cessionnaire minoritaire : Cour de cassation, 22 mars 2005, n° 01-16.331). Les parties tenues solidairement doivent avoir souscrit la même obligation (on est solidaire sur une même dette : Cour de Cassation, 4 octobre 1994, n° 91-18.867), ce qui n’est pas le cas d’un cessionnaire qui acquiert, dans le cadre d’une cession de contrôle, des parts ou actions seulement auprès d’un minoritaire (Cour de cassation, 24 janvier 2024, n° 20-13.755).

La cession du contrôle s’apprécie par rapport au ou aux seuls cessionnaires (Cour de cassation, 30 août 2023, cité ci-dessous).

En revanche, la solidarité active en matière commerciale n’est pas de droit (Cour de cassation, 26 septembre 2018, n° 16-28.133).

La solidarité passive des vendeurs

Les vendeurs (cédants) d’un bloc de contrôle ou de la totalité des parts ou actions sont principalement tenus de l’exécution des garanties du vendeur comme la garantie contractuelle de passif (Cour de cassation, 28 novembre 2006, précité ; Cour de cassation, 24 janvier 2024, précité)..

Les vendeurs sont aussi tenus, par exemple, solidairement de restituer la quote-part du prix correspondant à une révision à la baisse du prix (Cour de cassation, 30 août 2023, n° 22-10.466).

La solidarité passive des acheteurs

Les acheteurs (cessionnaires) d’un bloc de contrôle ou de la totalité des parts ou actions sont principalement tenus solidairement de leur obligation d’achat, donc du paiement du prix et des éventuels intérêts de retard stipulés (Cour de cassation, 3 juillet 2013, n° 12-17.714).

La règle est supplétive

Il est loisible aux parties de prévoir, dans le cadre du contrat de cession, l’exclusion de toute solidarité passive. (Cour de cassation, 23 avril 1966, n° 196 ; Cour de cassation, 30 août 2023, précité) ou inversement de prévoir expressément une solidarité active (Cour de cassation, 27 avril 2004, n° 02-10.347).

Les mêmes solutions s’appliqueraient si la cession portait sur des valeurs mobilières conférant, immédiatement ou à terme, le contrôle de la société à un cessionnaire ou à des cessionnaires.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris

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