Le seuil de 40 % dans la présomption de contrôle (L. 233-3, L. 233-16)

Question : d’où vient le seuil de 40 % dans la présomption de contrôle visé notamment aux articles L. 233-3 et L. 233-16 du code de commerce ?

Réponse : il a pour origine le seuil de minorité de blocage dans les assemblées générales extraordinaires des sociétés anonymes. On peut à la fois s’interroger sur le choix pertinent de cette minorité et sur son adéquation, aujourd’hui, aux sociétés par actions simplifiées. Ce critère (ou du moins le seuil de 40 %) devrait, à notre sens, être tout simplement supprimé.

Explications : la présomption de contrôle visée à l’article L. 233-3 du code de commerce a été pour la première fois introduite en droit français par l’article premier de la loi n° 85-11 du 3 janvier 1985 relative aux comptes consolidés de certaines sociétés commerciales et entreprises publiques modifiant l’article 357-1 (notion de contrôle pour la consolidation des comptes) de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales (qui deviendra l’article L. 233-16 du code de commerce). L’article 3 de la loi n° 85-705 du 12 juillet 1985 relative aux participations détenues dans les sociétés par actions lui emboitera le pas en créant l’article 355-1 (définition de contrôle) dans la la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales (qui deviendra l’article L. 233-3 du code de commerce).

La notion de contrôle “de fait” est issue de l’article premier de la septième directive européenne du 13 juin 1983 concernant les comptes consolidés qui prévoyait notamment le contrôle de fait dès lors que l’entreprise mère est “actionnaire ou associé d’une entreprise et aa) que la majorité des membres de l'organe d'administration, de direction ou de surveillance de cette entreprise (entreprise filiale), en fonction durant l'exercice ainsi que l'exercice antérieur et jusqu'à l'établissement des comptes consolidés, ont été nommés par l'effet du seul exercice de ses droits de vote”. La directive précisait également concernant ce cas spécifique que les Etats membres pouvaient “subordonner l'application du point aa) au fait que le pourcentage de la participation soit égal à 20 % ou plus des droits de vote des actionnaires ou associés” (sorte de quorum pour éviter les votes acquis par une très faible fraction des droits de vote).

A noter : cette notion de contrôle des organes de direction vient également des normes comptables internationales (norme IAS 3 de l’IASC qui visait en 1984 “le pouvoir de contrôler légalement ou contractuellement la gestion et la politique financière” (§ 6-b) cité in rapport du 5 décembre 1984 fait au nom de la commission des lois du Sénat, p. 7)

C’est le Sénat qui définira en premier le contrôle de fait comme résultant “de la désignation de la majorité des dirigeants et de la détention de plus d’un tiers des droits de vote, dés lors qu’aucune entreprise ne dispose du contrôle légal” (voir rapport, p. 25). Cela permettait d’éviter des “conflits de contrôle” c’est-à-dire à la fois un contrôle de droit par détention de plus de 50 % des droits de vote (et donc nécessairement du pouvoir de désigner la majorité des organes de direction) et un contrôle de fait par désignation de la majorité des organes de direction.

A noter : on comprend la référence au tiers des droits de vote car il s’agissait à l’époque (et cela va avoir son importance ensuite), avec les majorités prévues pour les SARL, de la majorité la plus basse de blocage des décisions aux assemblées dans les sociétés commerciales en droit français.

Le texte sera modifié à l’issue des débats parlementaires au Sénat comme suit “soit de la désignation ou de la révocation pendant deux exercices successifs, de la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de l’entreprise contrôlée et de la disposition directe ou indirecte d’une fraction supérieure au tiers des droits de vote, dès lors qu’aucun actionnaire ou associé de l’entreprise contrôlée ne détient, directement ou indirectement, la majorité des droits de vote” (voir texte issu des débats).

L’Assemblée nationale modifiera le texte comme suit : “soit de la désignation, pendant deux exercices successifs, de la majorité des membres des organes de direction, d’administration ou de surveillance d’une autre entreprise. La société consolidante est présumée avoir effectué cette désignation lorsqu’elle a disposé au cours de cette période, directement ou indirectement, d’une fraction supérieure au tiers des droits de vote, et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détenait, directement ou indirectement, une fraction supérieur à la sienne” (voir texte issu des débats).

A noter : alors que le Sénat en faisait une condition, le seuil de détention est transformé par les députés en présomption.

C’est enfin le Sénat, qui en deuxième lecture, modifiera le seuil du tiers des droits de vote en quarante pour cent : “Pourquoi le portons-nous aujourd’hui à 40 p. 100 par la voie de l’amendement proposé ? Pour une raison très simple : nous souhaitons, après réflexion, éviter qu’une confusion puisse s’instaurer dans le droit des sociétés. Nous craignons, par la formulation d’une présomption au seuil de la minorité de blocage qu’on soit, à partir de la minorité de blocage, présumé détenir la majorité, c’est-à-dire 50 p. 100. Pour éviter toute équivoque, toute espèce de confusion entre une règle de preuve et une règle de fond, nous avons considéré qu’il était possible de porter le seuil à 40 p. 100. Pourquoi possible ? Parce que […] dans tous les cas, je suis convaincu que l’on examinera très complètement la situation dés l’instant où l’on se trouve en présence d’une participation qui dépasserait une minorité de blocage et qui ne rencontrerait pas une majorité active supérieure à cette participation” (Sénat, débats, séance du 12 décembre 1984, p. 4464).

Ce seuil sera repris dans le texte adopté par la commission mixte paritaire les 17 et 19 décembre 1984 et enfin promulgué par la loi précitée du 3 janvier 1985 (puis repris par la loi précitée du 12 juillet 1985 ).

On peut s’interroger sur le choix de ce seuil. En effet, bloquer ce n’est pas décider. Si une minorité de blocage permet de s’opposer à une décision, elle ne permet pas d’entraîner l’approbation de cette décision. Aucun actionnaire n’a jamais pu désigner des membres des organes de direction, d’administration ou de surveillance en utilisant sa minorité de blocage (sauf à menacer de bloquer les décisions, institutonnalisant alors l’abus de minorité). En réalité, il faut plutôt comprendre que si un actionnaire détient une fraction supérieure à la minorité de blocage cela signifie que personne ne pourrait s’opposer à son vote. Et c’est en cela qu’il serait présumé détenir le contrôle de la société. Mais là encore, c’est méconnaitre les mécanismes du droit des sociétés. La minorité de blocage qui a servi de base à cette présomption est celle des assemblées générales extraordinaires (voir L. 225-96 du code de commerce). Or, la désignation des membres des organes de direction, d’administration ou de surveillance dans les sociétés anonymes ressort de la compétence des assemblées générales ordinaires (L. 225-18, L. 225-75 du code de commerce) qui ne dispose pas de minorité de blocage puisque les décisions sont prises à la majorité des voix (L. 225-98 du code de commerce). La condition du tiers des droits de vote qui deviendra 40 % ne s’explique donc pas.

A noter : déjà le garde des sceaux s’interrogeait à cette époque sur cette minorité de blocage (“Vous prévoyez le tiers parce que c’est chez nous la minorité de blocage. Est-ce une raison suffisante ? Interrogeons-nous. Ce que nous voulons. au fond, c’est que le compte consolidé ait un champ d’application large […]. A-t-on intérêt, alors, à fixer un seuil à 34 plutôt qu’a 20 ou même à ne pas fixer de seuil du tout, puisque c’est une disposition facultative ? C’est une interrogation ; elle me paraît importante”, Sénat, débats, 30 octobre 1984, p. 2899).

Le choix de cette minorité de blocage s’explique d’autant moins aujourd’hui que ce seuil n’est plus du tout adapté aux sociétés par actions simplifiées dont on sait que les règles de majorité (et donc les seuils de minorité de blocage) sont librement déterminées par les statuts.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris