Défaut de dépôt des comptes des sociétés commerciales et liquidation de l'astreinte : qui doit payer, le dirigeant ou la société ? (C. com., L. 611-2, II et R. 611-16)
Question d’un client : lorsque le président du tribunal a ordonné, sous astreinte, le dépôt des comptes, sur le fondement de l’article L. 611-2, II du code de commerce, et que l’astreinte est par la suite liquidée (condamnation définitive) qui de la société ou du dirigeant est tenu de payer ?
Réponse : la société selon nous, le dirigeant à titre personnel selon un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation.
Explications : les sociétés sont tenues de déposer un certain nombre de documents (L. 232-21 et suivants) auprès du greffe du tribunal (comptes sociaux, comptes consolidés, rapport sur le groupe, rapports des commissaires aux comptes) sous réserve des exceptions prévues par la loi pour les micro-entreprises et les moyennes entreprises et à certaines conditions (L. 232-25).
A défaut, le représentant légal peut être enjoint par le président du tribunal de déposer ces documents à bref délai (1 mois) sous astreinte (L. 611-2, II). S’ensuit alors toute une procédure (articles R. 611-13 et suivants) au terme de laquelle, en cas d’inexécution de l’injonction de faire, le président statue sur la liquidation de l’astreinte, le montant de la condamnation étant versée au Trésor public (R. 611-16). Or, au cours de la procédure, c’est le dirigeant légal qui est atteint : le président du tribunal enjoint le représentant légal (L. 611-2, II et R. 611-13 précités), l’ordonnance est notifiée au représentant légal (R. 611-14) et, en cas de liquidation de l’astreinte, la condamnation est également notifiée au représentant légal (R. 611-16 précité).
A noter : la condamnation est définitive lorsque le montant de l'astreinte n'excède pas le taux de compétence en dernier ressort du tribunal de commerce (voir pour le taux l’ article R. 721-6).
A noter : le montant de l’astreinte est liquidée selon les règles de l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution.
Doit-on comprendre que c’est le représentant légal qui est tenu personnellement ou la société ?
C’est la société qui est tenue de payer l’astreinte. En effet, l’article R. 611-16 du code de commerce était auparavant rédigé en ces termes : “Le montant de la condamnation prononcée à l'encontre du représentant légal de la personne morale est versé au Trésor public et recouvré comme en matière de créances étrangères à l'impôt.”. L’article 8 du décret n° 2014-736 du 30 juin 2014 a supprimé expressément les termes “à l'encontre du représentant légal de la personne morale”. En effet, le représentant légal est atteint ès qualités, c’est-à-dire en tant que représentant de la société et non à titre personnel. C’est donc la société qui est visée.
A noter : d’autant plus que les textes visent “le représentant légal” et non “le représentant légal personne physique”. En effet, une société commerciale (à l’exception des SARL) peut avoir comme représentant légal une personne morale. En condamnant uniquement le représentant légal personne physique cela reviendrait pour certaines sociétés à condamner une personne physique qui n’est pas le représentant légal de la société qui n’a pas déposé les documents (contra legem) mais une personnes représentant une personne morale qui, elle, a pu déposer les documents (sous réserve, si une condamnation sous astreinte peut être qualifiée de responsabilité civile, de l’application des textes selon lesquels les dirigeants d’une personne morale dirigeante sont “soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s'ils étaient président ou dirigeant en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu'ils dirigent” tels que l’article L. 227-7).
A noter : les représentants légaux personnes physiques encouraient en revanche une amende pour le non-dépôt des documents (R. 247-3) même si l’auteur de l’infraction visée n’est pas clairement identifié par le texte (ce qui pourrait soulever des questions quant au principe de la légalité des peines ou de leur accessibilité ou intelligibilité).
Malgré tout, la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé (par pure opportunité pour rejeter sa saisine ?), dans un arrêt de rejet de procédure au visa de l’article 978 du code de procédure civile, que “le représentant légal est condamné à titre personnel” (Cour de cassation, 7 mai 2019, n° 17-21.047). Un arrêté récent d’une cour d’appel a repris cette décision (cour d’appel de Riom, 3e chambre civile et commerciale réunies, 20 janvier 2021 – n° 20/00460).
A noter : quel sens donner à cet arrêt lorsque le dirigeant est une personne morale ?
On se retrouve ainsi parfois avec des procédures qui enjoignent le représentant légal à titre personnel et non la société et qui liquident l’astreinte en prononçant une condamnation contre la société, (cour d’appel de Rennes, chambre commerciale, 5 juillet 2022 – n° 22/00270) ou vice-versa, une injonction qui visait la société (car le dirigeant était visé ès qualités) et non le dirigeant à titre personnel et une liquidation à l’encontre du dirigeant à titre personnel (cour d'appel de Rennes, chambre commerciale, 21 juin 2022 – n° 21/07005), entraînant des vices de procédure pour défaut de convocation. Certaines cours d’appel “rectifient” parfois d’elles-mêmes ces erreurs (voir cour d’appel de Nîmes, 4e chambre commerciale, 22 mars 2018 – n° 17/03421).
A noter : la procédure peut vite se complexifier et les vices de procédure s’accumuler lorsque le représentant légal de la personne morale est une personne morale qui elle-même peut avoir une personne morale comme représentant légal et ainsi de suite. Nous avons ainsi le cas de sociétés représentées en cascade par 4 personnes morales.
Avocat au barreau de Paris