Installations industrielles : le traitement juridique des travaux réalisés sur une installation existante en cours d'exploitation
Une installation industrielle peut faire faire l’objet de travaux de modernisation ou d’extension pour généralement améliorer ou augmenter la capacité de production. Or, ces travaux vont nécessairement avoir un impact sur l’exploitation de l’installation existante. Comment traiter ces impacts pour chacune des parties ?
L’état de l’existant
En tout premier lieu, il convient bien entendu, pour se ménager la preuve, de prévoir l’établissement d’un état des lieux contradictoire des installations. Cet état des lieux est non seulement physiques mais doit également concerner les performances techniques “à date” des installations (car nous verrons que les travaux peuvent impacter ces performances voire dégrader l’exploitation).
Le programme
La description du programme des travaux (conception, cahier des charges, dossier constructeur : plans, liste des équipements, notice de fonctionnement et d’instruction, schémas électriques, autorisations administratives, support de formation, etc.) est importante car elle détermine les contours, avec les autorisations administratives, de l’objet du contrat et de l’obligation de conformité (ce que le maître d’ouvrage achète).
Or, plus qu’une installation à part entière, les travaux constituent parfois un appendice de l’installation existante. ll convient donc de bien prévoir les termes et conditions de raccordement des nouvelles installations aux installations existantes (obligation d’intégration) qui sont presque aussi importantes que les nouvelles installations dans la mesure où, dans ce cas, ces dernières doivent s’incorporer aux installations existantes pour ne former qu’une seul et unique installation dont les performances sont appréciées dans son ensemble et non unité par unité. L’entrepreneur doit donc déclarer bien connaitre les installations existantes et l’intention du maître d’ouvrage d’arriver à des performances augmentées ou améliorées par l’intégration (et non pas seulement les seules performances des nouvelles installations).
L’interface avec les intervenants
Pour la bonne exploitation de l’installation industrielle, l’entrepreneur devra se coordonner avec les intervenants, essentiellement l’exploitant lorsque celui-ci est différent du maître d’ouvrage. C’est le principe de l’interface dont il faudra prévoir le terme (généralement la levée des réserves).
Les grands principes de l’interface sont de trois ordres.
1° Chaque intervenant assume la responsabilité envers le maitre d’ouvrage de ses obligations au titre de son contrat (aucun accord entre intervenants ne doit venir réduire les droits du maître d’ouvrage).
2° Chaque intervenant doit coopérer avec les autres intervenants (en se concertant notamment) et intégrer dans ses obligations les contraintes liées à leur intervention.
3° Aucun intervenant ne peut se prévaloir vis-à-vis du maître d’ouvrage d’un manquement d’un autre intervenant ou du maître d’ouvrage du fait d’un manquement d’un autre intervenant (chaque intervenant assume les conséquences des autres intervenants) pour limiter ou exonérer sa responsabilité, résultant de ses propres obligations.
La sécurité des installations existantes et des personnes
Le site étant exploité, il conviendra d’assurer la sécurité des installations et des personnes.
S’agissant de la sécurité des installations, il conviendra de prévoir qui a la garde des installations existantes pendant les travaux et jusqu’à quelle date (achèvement, livraison, réception, levée des réserves). Toutefois, le site étant en exploitation, il est difficile de reporter la garde de l’installation sur l’entrepreneur. Il aura en revanche la garde de la partie du site sur lequel les travaux sont réalisés et les matériaux et équipements entreposés. l’entrepreneur devra s’engager à ne pas dégrader le site et les installations existantes ni à le polluer ou le souiller, en ce compris les voiries ou VRD.
Pour la sécurité des personnes, il sera recommandé de prévoir dans le contrat la désignation d’un coordinateur de sécurité qui aura pour mission d’élaborer un plan général de coordination (PGC), de constituer le dossier d’intervention ultérieure sur l’ouvrage (DIUO), d’ouvrir un journal de la coordination sur les aspects sécurité du chantier, de définir les sujétions relatives à la mise en place et à l’utilisation des protections collectives des installations et des accès provisoires.
Il conviendra le cas échéant, en fonction de la catégorie des opérations, de prévoir la coordination des opérations selon les modalités prévues par le code du travail : obligation de constituer un collège interentreprises de sécurité, de santé et des conditions de travail, obligation de déclaration préalable auprès des administrations et organismes ou obligation d'établir un plan général de coordination simplifié (R. 4532-1 du code du travail).
Le personnel mandaté sur site pour réaliser les travaux devra se conformer aux règles de sécurité applicables sur le site. Les entreprises de travaux prendront toutes dispositions pour qu'il soit donné suite par leurs préposés et sous-traitants aux éventuels avis, observations ou mesures préconisées en matière de sécurité et de santé.
Si les obligations en matière de sécurité sont à la charge du maître d’ouvrage, l’entrepreneur est en droit d’arrêter ou de suspendre les travaux en cas de danger grave et imminent menaçant la sécurité ou la santé d’un intervenant ou d’un tiers, ou de non-respect des règles de sécurité et de prendre les mesures nécessaires pour supprimer le danger. Les frais engendrés par les arrêts ou suspensions sont alors supportés par le maître d’ouvrage.
Les effets sur l’exploitation
L’entrepreneur doit prendre l’engagement (ou faire ses meilleurs efforts) de ne pas perturber la bonne marche de l’exploitation.
Les installations industrielles font généralement l’objet de garanties et engagements de performance (souscrites généralement par un exploitant-mainteneur, voir notre article). Or, les travaux sur les installations peuvent impacter ces garanties ou dégrader l’exploitation. Il convient donc de prévoir un mécanisme de traçage de ces effets en les justifiant et les motivant et d’adaptation des garanties en tenant compte de ces effets. Il convient également de prévoir avec l’entrepreneur certaines pénalités (voir ci-dessous) pour diminuer les risques d’arrêt d’exploitation.
A noter : après les travaux, les performances ou l’exploitation ont pu être modifiées par rapport à ce qui avait été prévu. Il est possible de prévoir dans le contrat d’exploitation-maintenance (O&M) une clause de “rendez-vous”, de “revoyure” ou de “réexamen” prévoyant une analyse et une éventuelle adaptation des prix (à la hausse comme à la baisse) pour maintenir l’équilibre économique du contrat. A défaut d’adaptation, le contrat peut alors être résilié selon certaines modalités (généralement sans indemnité de part et d’autre).
Les mises en service et tests de performance industrielle
La mise en service des nouvelles installations est une opération essentielle. Certaines des nouvelles installations peuvent être mises en service avant l’achèvement final. Il convient alors de prévoir des mise en service et réceptions intermédiaires (auquel assiste alors l’exploitant-mainteneur si le site fait l’objet d’un tel contrat). Le contrat devra prévoir si ces mises en service transfèrent la possession de ces installations (et donc le risque en cas de dégradation), le transfert de propriété étant quant à lui généralement reporté lors de l’achèvement/réception.
Les tests de performance industrielle concerneront à la fois les nouvelles installations et, lorsque celles(ci sont intégrées aux anciennes, l’installation industrielle dans son ensemble. La charge financière des fluides et autres fournitures nécessaires pour apprécier les performances industrielles doit être spécifiée dans le contrat.
La réception et les réserves
Les opérations de réception peuvent être de deux ordres : la réception des ouvrages et la réception “technique”. La réception doit, le cas échéant, inclure les aspects d’intégration des nouvelles installations aux anciennes.
Dans l’une ou l’autre de ces réceptions il conviendra de prévoir les cas qui appellent un refus justifié de réception (généralement les désordres ou défaillances techniques majeurs qui rendent les nouvelles installations ou l’installation industrielle dans son ensemble impropres à leur destination, usage ou bon fonctionnement). Pour les réserves qui ne sont pas substantielles, le contrat prévoit une période de levée (couplée généralement avec des pénalités).
La formation
Le contrat prévoira la formation du personnel pour les nouvelles installations.
Les assurances spécifiques
Il conviendra de prévoir la mise en place par l’entrepreneur d’une assurance de responsabilité civile professionnelle dont le montant est cohérent avec la valeur des installations existantes et à créer du maître d’ouvrage. Il conviendra également de s’interroger sur la mise en place par l’entrepreneur d’une assurance perte d’exploitation pour le maître d’ouvrage (sauf si celle-ci est incluse dans l’assurance responsabilité civile professionnelle). A défaut, il eut être prévu un mécanisme de retenu sur facture (généralement 5,00 %) pour couvrir ces éventuels risques. Le maître d’ouvrage souscrira quant à lui une assurance tout risque (chantier, montage, essai).
Les pénalités particulières
Outre les pénalités qu’il est d’usage de prévoir dans les opérations de conception et de construction, l”intervention sur un site en exploitation nécessite de motiver (“incentiver” pour reprendre un néologisme) l’entrepreneur en prévoyant des pénalités en cas de suspension ou d’arrêt de l’exploitation (en l’absence de faute) du fait de ses travaux : ce sont les arrêts dits “programmés” qui doivent être limités autant que faire se peut (ils sont donc déterminés dés l’origine en fonction de l’expérience de l’entrepreneur et tout dépassement donne alors lieu à une pénalité). L’indemnité peut être égale aux pertes d’exploitation normatives du fait de l’arrêt.
Il en va de même de l’absence des atteintes des performances industrielles des nouvelles installations, de l’installation industrielle dans son ensemble (si les nouvelles installations viennent s’intégrer avec les anciennes) ou de la dégradation des performances des installations existantes par suite de l’intégration des installations nouvelles (si ces dégradations résultent d’une faute de l’entrepreneur ou d’une erreur dans la conception). Les pénalités viseront à rétablir les performances attendues au plus vite (si elles ne peuvent l’être au but d’une durée contractuelle à déterminer, alors on bascule vers la responsabilité de l’entrepreneur ou du concepteur).
Les conséquences de la responsabilité
Outre les cas de responsabilité habituels, il conviendra de prévoir les conséquences d’une éventuelle résiliation du contrat aux torts de l’entrepreneur et plus particulièrement l’éventuelle obligation de démantèlement et de remise en état du site (notamment si les nouvelles installations sont inexploitables).
Avocat au barreau de Paris