La responsabilité du bailleur et du commissaire de jutsice dans la saisie-conservatoire des loyers impayés (CPCE, L. 511-2, L. 512-2).

Toute personne ayant une créance peut saisir de manière préventive les biens de son débiteur dans certaines conditions (L. 511-1). C’est la saisie-conservatoire ou la sûreté judiciaire. Parmi ces conditions figurent normalement une créance paraissant fondée en son principe, une autorisation préalable du juge et la justification de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.

Toutefois, une autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire notamment en cas de défaut de paiement d’un « loyer resté impayé » dès lors qu’il résulte d’un contrat écrit de louage d’immeuble (L. 511-2).

A noter : que vise-t-on par « loyer resté impayé » ? Au vu de l’origine du texte et des débats parlementaires (voir ci-dessous), il s’agit du loyer échu. Une certaine jurisprudence, non confirmée par la Cour de cassation, y inclurait les provisions sur charge (cour d’appel de Paris, 23 juin 2022, n° 21/21032). Cette inclusion est étonnante pour un texte qui constitue une exception au principe général de l’autorisation préalable du juge. Une telle exception, comme toute exception, doit être interprétée restrictivement d’autant plus que contrairement au loyer, le montant des charges peut être sujet à contestation voire les charges être irrégulières. En tout état de cause, les pénalités, indemnités et intérêts sont exclus de ces dispositions légales dérogatoires (tribunal judiciaire de Paris, 4 juillet 2024, n° 24/80459).

La saisie-conservatoire des loyers impayés exige donc trois conditions : des loyers restés impayés paraissant fondés dans leur principe, un contrat écrit de louage d’immeuble et des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement (cour d’appel de Paris, 28 mars 2024, n° 23/10185 ; cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11 mai 2023, n° 22/09325 ; cour d'appel de Nîmes, 25 janvier 2023, n° 22/02310 ; cour d’appel de Lyon, 19 janvier 2023, n° 22/02787).

A noter : c’est au créancier de prouver les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement des créances, la seule contestation du bien fondé de cette créance ne constitue pas, en elle-même, une circonstance menaçant son recouvrement (cour d’appel de Paris, 28 mars 2024, précité). La seule absence de paiement des loyers ne peut permettre de caractériser une menace portant sur le recouvrement de la créance ni l'arrêt des pourparlers et l'engagement de procédures judiciaires, la saisie ayant au demeurant démontré des liquidités au-delà des loyers réclamés (cour d’appel de Lyon, 19 janvier 2023, précité).

A noter : le créancier doit aussi, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire (R. 511-7) et en informer le tiers saisi à peine également de caducité de la saisie (R. 511-8).

Pour quelle raison les loyers d’un bail peuvent-ils faire l’objet d’une saisie-conservatoire sans autorisation préalable d’un juge ?

Cette disposition résulte de l’ancien article 68 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, codifié à l’article L. 511-2 du code des procédures civiles d’exécution par l’ordonnance n° 2011-1895 relative à la partie législative du code des procédures civiles d'exécution.

Cette exception visait à contrebalancer la suppression de l’article 819 (p. 240) de l’ancien code de procédure civile par la future loi de 1991 (Sénat, débats, séance du 24 mai 1991, p. 1069). Aux termes de cet ancien article, les propriétaires pouvaient, un jour après un commandement, et sans permission du juge (ou immédiatement avec la permission du juge), faire “saisir-gager”, pour loyers échus, les effets et fruits étant dans les maisons.

Le sénateur justifiait ainsi l’exception pour les “besoins en investissements dans le domaine immobilier à usage locatif” ainsi que vis-à-vis des “petits propriétaires qui louent de petits logements, notamment des retraités pour qui le loyer ainsi perçu constitue un nécessaire complément à leur retraite”, le loyer constituant un “engagement de nature contractuelle et liquide”.

A noter : le Gouvernement était contre l’amendement, du fait de l’incertitude des sommes dues par le locataire et préconisait un recours au juge. Ce à quoi le sénateur expliquait que “les huissiers de justice titulaires d’une maîtrise de droit, à tout le moins, et d’un examen professionnel approfondi, seraient [capables] de lire un bail” (Sénat, débats, séance du 24 mai 1991, p. 1069 précité). L’amendement fut adopté contre l’avis du Gouvernement. La modification fut adoptée par la commission mixte paritaire.

A noter : on peut se demander au vu des déclarations de l’auteur du texte si les baux commerciaux étaient vraiment concernés par cette disposition au vu des intérêts en jeu. Mais là où la loi ne distingue pas …

La contrepartie de ce régime dérogatoire, exorbitant du droit commun, est la responsabilité du créancier. En effet, aux termes de l’alinéa 2 de l’article L. 512-2, « Lorsque la la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire. ». Cette responsabilité est sans faute dès lors que la mainlevée est ordonnée (R. 512-1) car infondée ou nulle (Cour de cassation, 21 octobre 2009, n° 08-12.687 ; 25 septembre 2012, n° 11-22.337 ; cour d'appel de Paris, 16 mars 2023, n° 22/07900) et est indépendante de l’article L. 121-2 et il est donc indifférent de savoir si le créancier a engagé la procédure de saisie-conservatoire de façon abusive ou non (cour d’appel de Paris, 25 mai 2023, n° 22/09572 ; cour d'appel de Paris, 14 décembre 2023, n° 23/04572). Il suffit alors de justifier d’un préjudice (voir ci-dessous).

Dans les autres cas (absence de mainlevée ou mainlevée partielle), elle peut, selon nous, également être recherchée, en prouvant alors une faute du créancier dans l’exercice de son droit « dégénérant » en abus (absence d’utilité, intention de nuire à autrui, mauvaise foi, intention malicieuse, dilatoire ou vexatoire, erreur grossière, légèreté blâmable, etc.), un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

En d’autres termes, le créancier procède aux saisies-conservatoires à ses risques et périls et sa responsabilité peut être engagée avec ou sans faute dés lors qu’il est justifié d’un préjudice.

Il en va ainsi lorsque la saisit excédait ce qui était nécessaire pour garantir le paiement (Cour de cassation, 7 juin 2006, n° 04-15.597), ou que les sommes saisies ne sont pas celles visées par l’article L. 511-2 précité (uniquement les loyers et, selon une certaine jurisprudence, les charges, ce qui exclut donc les pénalités, indemnités, intérêts, tribunal judiciaire de Paris, 4 juillet 2024, n° 24/80459 précité) ou que les menaces sur le recouvrement n’étaient pas justifiées du fait par exemple de la « bonne santé financière » du débiteur reconnue par le créancier lui-même (cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11 mai 2023, n° 22/09325 précité).

Le préjudice résulte généralement de l’indisponibilité ou de l’immobilisation de la trésorerie (Cour de cassation, 21 octobre 2009 et 25 septembre 2012 précités ; cour d’appel de Paris, 28 mars 2024, précité ; cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11 mai 2023, n° 22/09325 précité ; cour d'appel de Paris, 16 mars 2023, 22/07900 précité) et la gêne financière ou les difficultés de trésorerie qui en résultent (arrêts précités) voire les “tracas liés au blocage des comptes” (cour d’appel de Lyon, 19 janvier 2023, précité) ; les difficultés de fonctionnement telles que l'impossibilité de faire face au règlement de ses charges courantes, ses fournisseurs et prestataires, ses investissements, ou l'impact « désastreux » de la saisie sur son image (constaté : cour d’appel de Paris, 28 mars 2024, précité ; cour d'appel de Paris, 14 décembre 2023, précité ; non constaté : cour d'appel de Rouen, 6 octobre 2022, n° 22/01173).

A noter : les condamnations du bailleur oscillent entre 3,44 % et 26,14 % des sommes indûment saisies avec une moyenne de 10,09 % sur 6 arrêts étudiés.

S’agissant du commissaire de justice (anciennement huissier de justice), aux termes de l’article L. 122-2 du code des procédures civiles d’exécution “L’huissier de justice chargé de l’exécution a la responsabilité de la conduite des opérations d’exécution”. Sur la base notamment de ce texte, par une jurisprudence constance, le commissaire de justice est « garant de la légalité des poursuites » et doit procéder aux « vérifications nécessaires », sa responsabilité pouvant être engagée (Cour de cassation, 26 juin 2024, n° 23-10.049 ; 17 mai 2023, n° 21-23.773 ; 28 septembre 2016, n° 14-29.776 ; 13 mai 2014, n° 12-25.511). Or, s’agissant des saisies-conservatoires sans autorisation préalable du juge, son office est d’autant plus important, ainsi que le rappelait d’ailleurs l’auteur de ce qui deviendra l’article L. 511-2 précité (voir ci-dessus, Sénat, débats, séance du 24 mai 1991, p. 1069 précité).

Il appartient donc au commissaire de justice, en matière de saisie-conservatoire au titre de loyers “restés impayés” de vérifier le bien-fondé de la créance (nature et exigibilité de la créance), le contrat écrit (permettant de déterminer la nature et l’exigibilité de la créance) ainsi que, auprès notamment de son mandant,  les circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. En cas de difficultés entravant le cours de ses opérations, il doit soit saisir le juge de l’exécution soit s’abstenir (Cour de cassation, 26 juin 2024, précité).

Le commissaire de justice pourrait donc être condamné soit à titre principal, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, soit in solidum avec le créancier, sur le fondement de l’article L. 512-2 précité, pour autant qu’il ait commis une faute dans l’exercice de ses missions.

Il est à espérer que les dernières jurisprudences et la diffusion du présent article mettront un terme, par l’entremise de commissaires de justice avisés et responsables, aux saisies abusives et irrégulières que certains pensaient pouvoir effectuer sur le fondement dune lecture simpliste de l’article L. 511-2, sans autres vérifications, redonnant ainsi au juge la place qu’il n’aurait jamais dû perdre pour éviter les abus de bailleurs peu scrupuleux ou trop légers, comme le souhaitait et le pressentait le Gouvernement.

Voir également notre article Les réclamations contre les officiers ministériels (avocats au Conseil, commissaires de justice, greffiers, notaires)

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris