La preuve et l'efficacité de la cession des valeurs mobilières (non admises aux négociations) par la réunion de l'ordre de mouvement et du formulaire fiscal
Il faut distinguer la preuve de l’accord des parties sur la cession (accord du cédant et du cessionnaire) de son opposabilité aux tiers (la société et toute autre personne autre que le cédant et le cessionnaire).
La preuve de l’accord des parties sur la cession
Au vu des dernières jurisprudence, une cession de valeurs mobilières, qui est une vente, nécessite de rapporter la preuve de l’accord des parties sur la chose (nombre de valeurs mobilières cédées) et le prix. En-dehors des actes de cession, cette preuve peut être rapportée par la réunion de deux documents sous certaines conditions.
L’ordre de mouvement (pas suffisant)
L’ordre de mouvement ne suffit pas à lui seul à rapporter la preuve de l’accord des parties (voir l’arrêt abondamment commenté de la cour d’appel de Paris du 11 janvier 2018, n° 16/10056). En effet, ce document (qui n’est prévu par aucune réglementation, voir ci-dessous) ne comporte pas le prix de cession et n’est signé que par le cédant. Il manque donc deux éléments essentiels de la formation de la vente : l’accord des parties sur le prix et la preuve de l’acceptation du cessionnaire (acquéreur).
Origine de l’ordre de mouvement : rappelons que l’ordre de mouvement (document d’apparence officiel) est une création de la pratique ou plutôt, lors de la dématérialisation des valeurs mobilières, d’un communiqué de la direction du Trésor du 29 février 1984 à l’Association nationale des sociétés par acions et de la lettre complémentaire du 1er août 1984 relative au “cahier des charges des émetteurs teneur de compte de valeurs mobilières non admises en Sicovam”.
A noter : l’ordre de mouvement peut être signé seulement par le cédant (Cour de cassation, 24 mai 2011, n° 10-12.163).
Le formulaire fiscal
Le formulaire fiscal Cerfa 10408 plus connu sous le numéro d’imprimé 2759 indique toutes les informations requises pour une vente : l’identité du cédant et du cessionnaire, le nombre de valeurs mobilières cédées et leur prix.
La réunion de l’ordre de mouvement et du formulaire fiscal
La réunion de l’ordre de mouvement et du formulaire Cerfa (le seul formulaire Cerfa serait suffisant) pourrait ainsi constituer la preuve de l’accord des parties sur la cession des valeurs mobilières.
Mise à jour : par un arrêt, la Cour de cassation a confirmé un arrêt d’une cour d’appel qui a considéré que le formulaire fiscal Cerfa vallait ordre de mouvement (voir notre article).
Mais les choses ne sont malheureusement pas aussi simples pour deux raisons.
Alors que l’ancien formulaire (jusqu’en 2009) requérait la signataire du cédant et du cessionnaire, le nouveau formulaire ne requiert plus, depuis 2011, que la signature d’une des deux parties (le “et/ou” a son importance). Vous aurez donc compris que si le formulaire Cerfa n’est signé que par l’une des parties seulement, il sera difficile de rapporter la preuve de l’accord des parties sur le prix. De même, un tel document signé par une seule partie ne sera pas conforme à l’exigence du “double exemplaire” des actes synallagmatiques (article 1375 du code civil, ancien article 1325 du même code). Rappelons que dorénavant le formulaire fiscal doit être signé en quatre exemplaires (et non plus en trois).
Par ailleurs, lorsque l’une des parties est un personne morale, il sera nécessaire d’indiqué la qualité du représentant pour qu’il n’y ait pas de contestation sur la capacité du signataire à engager la société. Il faudrait donc ne pas oublier de préciser lors de la signature la qualité du signataire. La tâche deviendra plus ardue lorsque la personne morale cédante ou cessionnaire est elle-même représentée par une personne morale (sans évoquer le cas de cascade de personnes morales) , il faudrait alors préciser avant que le signataire appose sa signature l’identité de la personne morale dirigeante. Or, au vu du formulaire fiscal, il se peut que cette précision soit difficile à retranscrire. On aura compris que dans cette hypothèse un acte de cession d’une page serait préférable pour bien indiquer la chaîne des représentants légaux.
Toutefois, la preuve du paiement (qui est un fait juridique) pourra, le cas échéant, rapporter la preuve de l’accord des parties sur le prix.
L’opposabilité de la cession
Le transfert de propriété des valeurs mobilières erga omnes nécessite une formalité particulière.
Depuis leur dématérialisation, le transfert des titres est matérialisé de par la loi par les virements (article L. 211-15 du code monétaire et financier) d’un compte-titres vers un autre compte-titres (article L. 211-3 du code monétaire et financier) tenu généralement par l’émetteur c’est-à-dire la société (article L. 211-6 du code monétaire et financier) aux termes d’une notification d’inscription en compte (article R. 228-10 du code de commerce). La propriété des titres ressort de leur seule inscription dans le compte-titres (article L. 211-17 du code monétaire et financier). Ce mécanisme avait déjà été reconnu en 1992 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (30 juin 1992). C’est ce qui a aussi été récemment retenu par la Conseil d’Etat pour tenir compte de la date de réalisation de la plus-value (Conseil d’Etat, 9è et 10è chambres réunies, 28 janvier 2019, n° 407305) malgré les dispositions de l’article R. 228-10 précité qui dispose que (souligné par nous) “l’inscription au compte de l'acheteur ou dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé est faite à la date fixée par l'accord des parties”.
Avocat au barreau de Paris