Comment rédiger/interpréter les règles de majorité pour les décisions collectives dans les sociétés (société civile, SNC, SARL, SAS, etc.)?
Question : comment rédiger ou interpréter les règles de majorité pour les décisions collectives dans les sociétés ?
Réponse : tout dépend du calcul auquel on souhaite arriver (par tête/associé, par droits de vote en circulation de la société, par associés présents ou réputés comme tels ou représentés, par votes exprimés).
Explications : si des textes spécifiques prévoient expressément des règles de majorité, il est possible pour certaines sociétés de prévoir des règles de majorité particulières.
LES MAJORITES INTANGIBLES
Pour certaines sociétés, les règles de majorité sont intangibles, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de prévoir une majorité plus ou moins élevée que celle prévue par la loi.
Ce serait le cas pour les sociétés anonymes (SA) : assemblée générale ordinaire (L. 225-98 majorité des voix des actionnaires présents ou réputés comme tels ou représentés et depuis 2019 des voix exprimées par les actionnaires présents ou réputés comme tels ou représentés) ou extraordinaire (L. 225-96 majorité des deux tiers des voix des actionnaires présents ou réputés comme tels ou représentés et depuis 2019 des voix exprimées par les actionnaires présents ou réputés comme tels ou représentés). Ces règles sont applicables également aux sociétés par actions simplifiées dans certains cas (L. 227-2-1).
Dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL), la majorité légale des décisions collectives extraordinaires ne peut être modifiée, sauf décision unanime des associés, pour les sociétés constituées jusqu’à la date de publication de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 (L. 223-30).
Pour certaines sociétés, les textes prévoient l’unanimité des associés ou de certains des associés seulement dans certains cas particuliers (voir les règles applicables pour chacune des sociétés).
LES MAJORITES TANGIBLES
Dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL), les majorités légales des décisions collectives ordinaires peuvent être renforcées mais non diminuée. Dans ce cas, il convient de bien prévoir les majorités applicables sur première et deuxième convocation puisque la loi prévoit ces deux cas de figure. ll en va de même pour les décisions collectives extraordinaires pour les SARL constituées après la publication de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 (L. 223-30)
A noter : s’agissant des décisions concernant la révocation des gérants, l’unanimité ne pourrait être prévue (cour d’appel de Paris, 10 février 2006, n° 05/17037).
LES MAJORITES LIBRES
A l’exception de certaines décisions, les statuts des sociétés civiles, des sociétés en nom collectif (SNC) ou des sociétés par actions simplifiées (SAS) peuvent fixer des majorités particulières. Il en va de même pour certaines décisions dans les SARL (voir ci-dessus).
A noter : la Cour de cassation a décidé pour les SAS, pour les décisions visées à l’alinéa 2 de l’article L. 227-9 du code de commerce, que “nonobstant les stipulations contraires des statuts, les résolutions ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés” (Cour de cassation, chambre commerciale, 19 janvier 2022, n° 19-12.696 ; confirmée par Cour de cassation, 14 novembre 2024, n° 23-50.016 : “Une décision collective d'associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix. Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires”, entraînant dès lors la nullité de la décision adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité des votes exprimés).
TERMINOLOGIE
Rappelons que la majorité peut être simple ou relative (plus grand nombre de voix), absolue (50 % + 1) ou qualifiée (supérieure à 50 % + 1). Dans les exemples qui suivent nous indiquons la majorité sans autre précision. A défaut de précision il s’agit de la majorité simple ou relative (la notion de “majorité” signifiant le plus grand nombre). Il conviendra donc d’adapter la rédaction le cas échéant.
Le terme voix est plus adapté pour un calcul avec une participation de l’associé alors que, selon nous, les termes droits de vote visent les voix en circulation dans la société.
LA MAJORITE PAR TETE
Rédaction : “à la majorité des associés/actionnaires”.
Cette majorité permet de neutraliser le nombre de voix que chaque associé détiendrait en adoptant le principe 1 tête 1 voix quelque soit donc le nombre de parts ou actions que détiendrait cet associé.
A noter : pour un exemple d’application alors que certains associés contestaient cette interprétation d’une tête une voix (Cour de cassation, 23 octobre 2007, 05-19.092).
Variante : “à la majorité des associés ayant le droit de vote”.
Certains associés peuvent en effet ne pas avoir de droits de vote (exemple : catégorie d’actions ou actions de préférence sans droit de vote)
LA MAJORITE EN DROITS DE VOTE OU EN VOIX
C’est la majorité la plus courante mais encore faut-il s’entendre sur le nombre droits de vote ou de voix pris en compte.
Interprétation : plus vous allez avancer dans les clauses proposées ci-dessous, plus la décision a de chance d’être adoptée, donc plus la rédaction est favorable aux minoritaires.
La majorité des droits de vote de la société
Rédaction : “à la majorité des droits de vote de la société”.
Cette majorité permet en fin de compte d’inclure une sorte de quorum. Il faut un nombre d’associés tel qu’ils représentent seul ou ensemble au moins la moitié des droits de vote (en circulation) de la société. Cela tient donc compte des associés qui ne participeraient pas à la décision collective.
A noter : il est possible de varier la rédaction pour prévoir au moins la présence de deux associés. Il suffira alors d’écrire “par au moins deux associés représentant la majorité des droits de vote de la société”.
A noter : l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) estime que “à la majorité des voix” équivaut à la la majorité des droits de vote, donc l’ensemble des voix de la société (Comité juridique, n° 20-034 du 9 septembre 2020). Cela nous paraît discutable car la notion de “voix” renvoie à la participation à la décision (ainsi, il peut y avoir des droits de vote suspendus, les voix seront alors décomptées selon celles en présence qui peuvent être utilisées). Donc, la notion renvoie à ceux qui sont présents (ou représentés). Alors que droit de vote renvoie aux droits de vote en circulation dans la société. Là, est, selon nous, la différence.
Variante : “à la majorité des droits de vote non suspendus de la société”
Certains droits de vote de la société peuvent en effet être suspendus par la loi : auto-détention, sanction, etc.
La majorité des voix des associés présents ou représentés
Rédaction : “à la majorité des voix des associés présents (ou réputés comme tels) ou représentés”.
C’est sans doute la majorité la plus courante car elle ne tient compte que des associés qui participent à la décision collective. Elle peut en revanche avoir un inconvénient (selon le sens du vote que l’on souhaite). A défaut de précision particulière, toute abstention sera en effet prise en compte et donc “équivaudra” en terme de calcul à un vote défavorable puisqu’elles ne sont pas prises en compte dans le calcul des votes favorables.
A noter : sur la question des abstentions voir Association nationale des sociétés par actions, comité juridique, n° 20-034 du 9 septembre 2020.
La majorité des voix exprimées
Rédaction : “à la majorité des voix exprimées des associés présents (ou réputés comme tels) ou représentés. Les voix exprimées ne comprennent pas celles attachées aux parts/actions pour lesquelles l’associé/actionnaire n'a pas pris part au vote, s'est abstenu ou a voté blanc ou nul”.
Il s’agit d’une rédaction qui s’inspire de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés. Cette rédaction permet d’écarter du calcul de la majorité les abstentions mais également les votes blancs ou nuls.
EXEMPLES DE CLAUSE AMBIGUE
Clause : “majorité en nombre des associés présents ou représentés, représentant au moins les trois quarts du capital social”. Cette clause peut s’interpréter de deux manières : il s’agit à la fois d’un quorum (au moins les trois quarts du capital social devaient être présents ou représentés) et d’une règle de majorité (en nombre d’associés présents et représentés) ou bien seulement une double majorité (majorité en nombre d’associés présents ou représentés et par les associés représentant au moins les trois quarts du capital social). Ce sera la première interprétation qui sera retenue au vu d’autres stipulations statutaires concernant notamment les décisions ordinaires (Cour de cassation, 12 octobre 2022, n° 21-15.407 : pour une interprétation inverse cour d’appel d’Angers, 22 mars 2011, n° 10/265 car la virgule devait s’interpréter comme la conjoinction “et”).
Clause : “l’unanimité des associés représentant 75 % du capital social”. S’agit-il de l’unanimité des associés présents ou représentés dès lors que 75 % du capital social est présent ou de ceux représentant ensemble au moins 75 % du capital social ?
Clause : “les associés représentant plus de la moité du capital social”. Un seul associé détenant plus de la moitié du capital social peut-il prendre la décision ? En d’autres termes, faut-il au moins deux associés ?
Clause : “les décisions relatives à la nomination ou à la révocation de la gérance doivent être prises par des associés représentant plus de la moitié des parts sociales, sans que la question puisse faire l’objet d’une seconde consultation à la simple majorité des votes émis”. Un seul associé représentant plus de la moitié des parts sociales peut-il prendre la décision.
A noter : s’agissant d’une SARL, la Cour de cassation a admis que, dans la mesure où “il est communément admis que la décision de révocation d’un gérant minoritaire associé d’une société à responsabilité limitée, lorsqu’elle ne comporte que deux associés, peut résulter du seul vote de l’associé possédant plus de la moitié des parts sociales et que le terme « des associés » […] devait être compris comme faisant référence de manière générique à « un ou plusieurs associés » ayant pris part au vote et non comme imposant, pour ce vote, la présence des deux associés (Cour de cassation, 31 mars 2021, n° 19-12.057).
Clause : ”Les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité des droits de vote exprimés de tous les associés disposant du droit de vote, qu’ils soient présents, représentés ou absents”. Contradiction entre l’emploi du terme “exprimés” et “absent”. La clause semble s’interpréter comme la majorité des droits de vote de la société (les droits de vote de l’associé absent seraient donc considérés comme équivalents à un vote défavorable) ou alors comme excluant du calcul les abstentionnistes, les votes blancs ou nuls, les droits de vote des absents étant quant à eux comptabilisés comme des votes défavorables ?
Avocat au barreau de Paris