Le porteur unique d’une émission d’obligations ou de valeurs mobilières donnant accès au capital doit-il être convoqué aux assemblées/décisions des associés (C. com., L. 228-55) ?

Question d’un client : le porteur unique d’une émission d’obligations ou de valeurs mobilières donnant accès au capital doit-il être convoqué (ou informé) aux assemblées/décisions des associés (C. com., L. 228-55) ?

Réponse : il serait recommandé de le convoquer même si la loi ne le précise pas expressément.

Explication : l’article L. 228-46 du code de commerce (concernant l’émission d’obligations) dispose que “Les porteurs d'obligations d'une même émission sont groupés de plein droit pour la défense de leurs intérêts communs, en une masse qui jouit de la personnalité civile.”, l’article L. 228-47 du même code que “La masse est représentée par un ou plusieurs mandataires” appelés “représentants de la masse”.et l’article L. 228-55 du code précité que ces représentants de la masse “ ont accès aux assemblées générales des actionnaires, mais sans voix délibérative” et que “Ils ont le droit d'obtenir communication des documents mis à la disposition des actionnaires dans les mêmes conditions que ceux-ci.”.

Qu’en est-il lorsqu’il n’y a qu’un seul porteur, un porteur unique ? Existe-t’il une masse et donc un représentant disposant des droits prévus par l’article L. 228-55 du code de commerce ?

La pratique (s’inspirant vraisemblablement des dispositions de l’article L. 223-1 du code de commerce sur les sociétés à responsabilité limitée à associé unique) prévoit dans les contrats d’émission que le porteur unique “exercera les pouvoirs attribués par la loi et le contrat d’émission à la masse et à l’assemblée générale des porteurs”. En l’absence de représentant de la masse, le porteur unique peut-il exercer ses pouvoirs ?

Un arrêt ancien de la cour d’appel de Paris (cour d'appel Paris, chambre 5 section B, 23 mai 1997) avait ainsi estimé que « Alors que les dispositions d'ordre public de l' article 293 de la loi du 24 juillet 1966 instituent dans un but protecteur le regroupement des porteurs d'obligations en une "masse", de telles dispositions, qui impliquent une pluralité de porteurs, perdent leur sens s'il n'existe en l'espèce qu'une seule personne porteuse d'obligations. Cette même personne répond au but poursuivi par le législateur en convenant avec le débiteur obligataire d'une modification de la date de remboursement et du taux d'intérêts des titres obligataires sans recourir au formalisme inutile d'une singulière assemblée dont elle aurait été l'unique participante. ».

Un arrêt récent d’une cour d’appel a estimé que : « Si l'existence d'un représentant de la masse n'est pas obligatoire, sa compétence est exclusive à partir du moment où il existe en application de l'article L 228-54 du code de commerce. Aucune disposition légale n'exclut l'existence d'un représentant de la masse des obligataires en cas d'obligataire unique. Il en résulte que la masse est constituée même dans l'hypothèse d'une souscription unique […]. La société émettrice ne saurait en effet se dispenser des obligations légales d'informations qui pèsent à son encontre sous prétexte de l'existence d'une seule souscription. » (cour d'appel de Chambéry, chambre civile, 1ère section, 22 janvier 2019).  

Nous rejoignons cette analyse. C’est la raison pour laquelle il nous semble que le porteur unique doit être convoqué/informé des décisions comme le serait un représentant de la masse.

Certains pourraient toutefois arguer que le droit du représentant de la masse est un droit d’une expression collective (celui de la masse) qui ne peut être exercé individuellement par un porteur (un peu comme si on confondait un associé unique et le gérant ou le président de la société). Donc qu’en l’absence de représentant de la masse, le droit (à être convoqué) ne peut être exercé individuellement par le porteur unique (pour un exemple de porteur unique avec désignation d’un représentant de la masse : voir cour d’appel de Paris, Pôle 1, chambre 8, 29 Janvier 2021 – n° 20/01594). Ce raisonnement nous paraît fragile mais pas exclu. 

A noter : dans notre précédant exemple de clause, il était indiqué que le porteur unique exerçait les pouvoirs de la masse et de l’assemblée générale mais pas ceux du représentant de la masse. Il serait plus prudent de le prévoir.

En l’absence de disposition particulière, les modalités de convocation/d’information restent libres même si généralement (mais aucun texte ne le prévoit), ce sont les mêmes que celles prévues pour les associés qui s’appliquent.

Les mêmes raisonnement peuvent être tenus pour un porteur unique de valeurs mobilières donnant accès au capital dans la mesure où les textes renvoient aux textes sur les obligations (voir article L. 228-103 du code de commerce).

A noter : voir les dispositions de l’article L. 213-6-3 permettant d’écarter les règles sur les représentants de la masse pour les émissions dont la valeur nominale est supérieure à 100 000 € (R. 213-16-1).

 Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris