La dissolution-liquidation volontaire d'une société détenue à 100 % (au lieu d'une TUP) est-elle possible (1844-8, L. 237-2, 1844-5) ?

 

Question d’un client : est-il possible d’opter pour une dissolution-liquidation d’une société détenue à 100 % plutôt qu’une transmission universelle de patrimoine (TUP) ? En d’autre terme a-t-on le choix entre une dissolution-liquidation ou seule la TUP est possible ?

Réponse : pour les sociétés détenues à 100 % par une personne morale, seule la transmission universelle de patrimoine est possible à l’exclusion de toute dissolution-liquidation volontaire.

Mise à jour (2024) : La dissolution d'une société, dont toutes les parts sociales sont réunies en une seule main, intervenue au cours de son plan de redressement prévoyant l'inaliénabilité de son fonds de commerce, n'entraîne pas la transmission universelle de son patrimoine à l'associé unique (Cour de cassation, 2 octobre 2024, n° 23-14.912). En effet, dans ce cas, le transfert des actifs inaliénables temporairement reste soumise aux règles d'ordre public applicables au redressement ou à la liquidation judiciaire des entreprises en difficulté (même arrêt).

Explication : pour de multiples raisons, un associé unique peut préférer une dissolution-liquidation prévue par l’article 1844-8 du code civil pour les sociétés civiles ou L. 237-2 du code de commerce pour les sociétés commerciales (par exemple pour ne récupérer que l’actif disponible après règlement du passif) plutôt qu’une transmission universelle de patrimoine prévue par l’article 1844-5 du code civil (entraînant la transmission du passif comme par exemple celui qui résulterait d’un contentieux) malgré son régime fiscal favorable assimilé aux fusions.

Mais, il résulte de l’article 1844-5 du code civil que pour les sociétés qui sont détenues à 100 % par un associé personne morale “En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation”.

Historique : à l’origine, le texte avait pour objet de ne pas prévoir de dissolution de plein droit (et donc la liquidation qui s’en suit) de la société lorsque celle-ci n’était plus détenue que par un seul associé, un délai de régularisation d’un an étant alors prévue (rédaction de 1978) délai qui pouvait être prorogé par le juge voire anéanti si la situation était rétablie au moment du jugement sur le fond (rédaction de 1981) . C’est en 1988 que le législateur, pour faciliter les opérations de dissolution et les rendre moins onéreuses, a substitué à la procédure de liquidation, la transmission universelle de patrimoine, en l’excluant en 2001 pour les personnes physiques. Mais en faisant cela, le législateur a aussi (involontairement ?) imposé la transmission du passif à l’associé unique personne morale.

L’article 1844-5 est-il d’ordre public ou l’associé unique peut-il l’écarter pour opter volontairement pour une dissolution-liquidation ?

Il semble que la question soit tranchée puisque deux arrêts de la Cour de cassation (chambre commerciale et chambre sociale), certes non publiés, ont considéré que la transmission universelle du patrimoine intervenait de plein droit, faisant ainsi de ce texte un texte d’ordre public (qui semble pourtant avoir été adopté dans l’intérêt de l’associé unique et non des tiers).

Ainsi, un premier arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation de 2010 (n° 09-17.169) a décidé que “l'article 1844-5, alinéa 3, du code civil, qui prévoit que la dissolution d'une société dont les parts sont réunies en une seule main entraîne la transmission universelle de son patrimoine à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation, institue une transmission universelle de droit à l'associé unique qui recueille en ce cas les créances et les dettes antérieurement nées dans le patrimoine social, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que les opérations de liquidation entreprises étaient sans emport, a fait l'exacte application du texte suscité”. On ne notera que la Cour de cassation n’a pas utilisé les termes de “plein droit” mais “de droit” qui pourrait faire penser qu’il s’agirait d’un droit auquel l’associé unique pourrait renoncer avant les opérations de dissolution mais les faits de l’espèce ainsi que les moyens de cassation ne plaident pas en faveur d’une telle interprétation, la Cour de cassation ayant pris le soin de préciser que “les opérations de liquidation entreprises étaient sans emport” (c’est-à-dire sans conséquence).

Dans un second arrêt de 2016 , la chambre sociale de la Cour de cassation (n° 14-21.533) a décidé que : “la dissolution anticipée de la société avait été décidée par son associée unique, personne morale, de sorte que, par application des dispositions de l'article 1844-5 du code civil, cette dissolution entraînait la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associée unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation et que ne pouvait y faire obstacle le fait de décider néanmoins de sa mise en liquidation amiable sous le régime conventionnel”.

Déjà une cour d’appel en 1996 avait décidé dans un fameux arrêt que “la loi a donc créé pour les sociétés unipersonnelles une exception à la règle de la liquidation des sociétés dissoutes ; […] celles-ci n'ont pas le choix entre une dissolution suivie de liquidation ou une dissolution entraînant la transmission universelle du patrimoine social à l'associé unique ; […] elles sont soumises obligatoirement à la règle prévue pour le cas où toutes les parts d'une société sont réunies en une seule main et où la situation n'a pas été régularisée” (cour d’appel de Douai, deuxième chambre, 14 novembre 1996, n° 96/01638).

Une solution consisterait, pour éviter le régime de plein droit de la transmission universelle de patrimoine, sous réserve de la fraude (qui anéantirait l’opération), à céder une part ou une action de la société unipersonnelle à un tiers pour procéder à la dissolution-liquidation. La concomitance des opérations ou sa non-justification économique pourrait avérer la fraude.

 Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris