SARL et émission obligataire : les comptes des trois derniers exercices doivent-ils être certifiés ? (C. com., L. 223-11)
Question pratique : les comptes des trois derniers exercices de la société à responsabilité limitée (SARL) qui souhaite émettre des obligations doivent-ils être certifiés ?
Réponse : nous sommes d’avis que non (mais vu le risque de nullité il est conseillé de les faire certifier s’ils ne l’ont pas été avant d’émettre les obligations).
Explication : depuis l’ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises (article 12), les sociétés à responsabilité limitée peuvent émettre des obligations (emprunt obligataire). A cette époque, les deux conditions étaient les suivantes (L. 223-11, al. 1) : les comptes des trois derniers exercices de douze mois ont été régulièrement approuvés par les associés et la société est tenue “en vertu de l'article L. 223-35” du code de commerce de désigner un commissaire aux comptes (c’est-à-dire si elle dépassait les seuils visés à cet article).
La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (article 20) est venue modifier légèrement l’article L. 223-11, en remplaçant les mots “tenue en vertu de l'article L. 223-35 de désigner” par les mots “ayant désigné”. Cette modification résulte d’un amendement (n° 750) dont l’objet est d’“apporter une clarification au code de commerce concernant les sociétés à responsabilité limitée, les SARL. Celles qui se situent au-dessous des nouveaux seuils d’audit, dès lors qu’elles ont désigné un commissaire aux comptes volontairement, pourront émettre des obligations nominatives. Ce n’est actuellement pas le cas.” (R. Yung, Sénat, séance du 30 janvier 2019).
Depuis l’origine, l’article L. 223-11 du code de commerce ne précise pas si les comptes des trois derniers exercices doivent être certifiés. En d’autres termes, une SARL n’ayant pas de commissaire aux comptes mais ayant ses trois derniers exercices approuvés, peut-elle désigner un commissaire aux comptes pour ensuite émettre un emprunt obligataire ?
Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer. La réponse devrait donc être positive.
Toutefois, le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance de 2004 précitée précise que (mis en italique par nous) : “La section 2 (article 12) organise la possibilité pour les sociétés à responsabilité limitée d'émettre des obligations, afin de permettre un financement susceptible d'aider à leur développement. Cette prérogative est affirmée à l'article L. 223-11 du code de commerce. Elle est réservée néanmoins aux sociétés répondant à deux critères : avoir établi les comptes de trois exercices approuvés par les associés et être tenues de nommer un commissaire aux comptes. Sont donc exclues les sociétés se trouvant en dessous de seuils sociaux et financiers définis par décret et ne disposant pas de comptes certifiés. Le régime de ces émissions est calqué sur celui des émissions d'obligations émises par les sociétés par actions […]”. Il ressort donc des rédacteurs de l’ordonnance que les comptes des trois derniers exercices devaient, semble-t-il, être certifiés (sauf si étaient visés les comptes après l’émission obligataire).
On ne retrouve pourtant pas (à première lecture) cette condition pour les sociétés par actions. A l’origine, les sociétés par actions devaient avoir deux années d'existence et établi deux bilans régulièrement approuvés par les actionnaires (L. 228-39). Puis, le législateur a inversé la condition en 2001 (article 102). Une société par actions n’ayant pas établi deux bilans régulièrement approuvés par les actionnaires doit précéder l’émission d'une vérification de l'actif et du passif par un commissaire (L. 228-39 nouveau). Cette nouvelle condition a été introduite par un amendement du Gouvernement (n° 110) en vue de fournir des “garanties pour les souscripteurs, notamment quant à la santé financière de la société” (Sénat, séance du 18 avril 2001, article 55 quater). Mais, inversement, dès lors que la société par actions a au moins deux exercices régulièrement approuvés, l’émission est libre (nul besoin d’un commissaire à la vérification de l’actif et du passif ou d’une société par actions ayant un commissaire aux comptes). Attention à ne pas faire d’anachronisme juridique. En effet, en 2001, la désignation d’un commissaire aux comptes était obligatoire pour les sociétés par actions, même pour les sociétés par actions simplifiées (la désignation pour les SAS deviendra facultative, et en fonction de seuils, par l’article 59 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie introduisant l’article L. 227-9-1). Donc, lorsque l’article L. 228-39 visait deux exercices régulièrement approuvés, ils l’étaient sur la base de comptes certifiés. Or, lorsque le législateur calque le régime d’émission obligataire des SARL sur celui des sociétés par actions simplifiées en 2004, les comptes des sociétés par actions étaient nécessairement certifiés (ce qui permet de mieux interpréter les développements précités du rapport au Président de la République de 2004).
Cette approche historique est séduisante. Il n’empêche, en permettant en 2008 aux SAS de ne pas désigner de commissaire aux comptes dans certains cas et en ne modifiant pas l’article L. 228-39, le législateur (par inadvertance sans doute) a ainsi permis à des sociétés n’ayant pas de comptes certifiés d’émettre des obligation. Or, depuis 2008, l’article L. 228-39 a été modifié à 3 reprises sans que le législateur ait vu une nécessité de réintroduire la condition de comptes certifiés (en introduisant une obligation de désigner un commissaire aux comptes). On ne comprendrait donc pas pour quelles raisons (et sur quel fondement légal) le régime des SARL serait aujourd’hui différent de celui des SAS.
Un dernier argument pourrait être avancé. Pour quelle raison la loi imposerait la désignation d’un commissaire aux comptes pour les SARL si ce n’est pour certifier les comptes des trois derniers exercices ? Il s’agit, selon nous, maintenant, pour apporter une garantie quant à la sincérité des comptés (auxquels auront accès les souscripteurs et porteurs d’obligations) et donc de la situation financière de la société emprunteuse, après cette souscription (par une certification des comptes) du fait du particularisme de la gestion des SARL (souvent personnelle et familiale). Lorsqu’en 2019 le texte a été modifié, les débats n’ont pas visé les comptes certifiés mais la possibilité pour une SARL d’émettre des obligations (mis en italique par nous) “dès lors qu’elles ont désigné un commissaire aux comptes volontairement”. Le législateur n’aurait pas manqué de préciser “après une période de carence de trois ans” ou “pour un mandat supérieur à 3 ans” (puisque le mandat d’un commissaire aux comptes désigné volontairement peut être de trois ans seulement) si la certification des comptes des trois derniers exercices et la présence d’un commissaire aux comptes au moment de l’émission étaient des conditions cumulatives.
Quel serait le risque au final ? Le risque principal est la nullité du contrat en application de l’alinéa 3 de l’article L. 223-11 du code de commerce (même si c’est le non-respect de la condition d’absence d’offre au public qui était visée ainsi que le rappel le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2019-1067 du 21 octobre 2019 modifiant les dispositions relatives aux offres au public de titres, l’ancien texte prévoyant la nullité étant l’article L. 412-3 du code monétaire et financier).
Avocat au barreau de Paris