Fusions entre sociétés civiles (SCI et autres) : revue des spécificités et débats sur la fusion simplifiée (C. civ., 1844-4, 1854-1).
Le régime des fusions entre sociétés commerciales est bien connu et détaillé par la réglementation, mais celui des fusions entre sociétés civiles est plus inhabituel. Cela tient au fait que les sociétés civiles ne sont pas des sociétés de capitaux (c’est-à-dire que la responsabilité des associés n’est pas limitée à celle de leurs apports).
SPECIFICITES
Comme pour les sociétés commerciales, la fusion entre sociétés civiles nécessite un projet de fusion. A la différence des sociétés commerciales (R. 236-1), le contenu du projet de fusion n’est pas déterminé. On pourra donc s’inspirer des dispositions du code de commerce pour établir le contenu du projet.
A noter : si toutes les sociétés civiles sont soumises à l’impôt sur les sociétés et si le régime de faveur est souhaité pour l’opération de fusion (210 C), alors le traité devra comporter un certain nombre de stipulations en matière fiscale (BOI-IS-FUS-10-20-40).
A noter : à la différence des sociétés commerciales (L. 236-3), le code civil ne précise pas l’absence d’échange de parts de la société bénéficiaire contre des parts de la société qui disparaît dans certains cas (notamment lorsque les parts sont détenues par la société bénéficiaire). Il ne nous semble pas qu’il faille une habilitation légale pour prévoir dans le traité une telle “renonciation”.
Comme pour les sociétés commerciales, la fusion nécessite, sauf régime des fusions simplifiées (voir ci-dessous), une décision des associés des sociétés concernées (1844-4, al. 4) qui peuvent également modifier le projet de traité de fusion. Si aucune majorité particulière n’est prévue dans les statuts, la décision doit être prise à l’unanimité des associés de la société (1836 et 1852), c’est-à-dire avec l’accord de tous les associés de la société et non pas seulement ceux qui seraient présents ou représentés (Cour de cassation, 5 janvier 2022, n° 20-17.428)..
A noter : l’unanimité des associés peut également être requise dans les sociétés par actions simplifiées (SAS) si les statuts n’ont pas précisé les conditions de majorité pour la modification des statuts. Les dispositions de l’article 1836 précité s‘appliquent en effet à toutes les sociétés pour lesquelles la loi n’a pas prévu de disposition particulière, ce qui est le cas des SAS.
A la différence des sociétés commerciales (les textes entre parenthèses sont les textes applicables aux sociétés commerciales sauf mention contraire) aucun dépôt au greffe du tribunal de commerce du projet de traité de fusion (L. 236-6, al. 2, sauf en cas de fusion simplifiée, comme nous le verrons ci-dessous: 1854-1), ni publication (R. 236-2, R. 236-3 anciennement R. 236-2-1) ne sont prévus, ni la désignation d’un commissaire à la fusion ou aux apports (L. 236-10, pour les sociétés civiles : avis de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, Bulletin, décembre 1989, p. 495), ni un droit d’opposition des créanciers (L. 236-15 ancien L. 236-14).
Contrairement aux sociétés commerciales (L. 236-4), le code civil ne précise pas la date d’effet de la fusion. La date d’effet est normalement celle de la dernière des décision des associés ayant approuvé la fusion ou, si une société nouvelle est créée, la date d’immatriculation de cette nouvelle société. La question reste de savoir si les fusions entre sociétés civiles peuvent bénéficier des options prévues pour les sociétés commerciales à l’article L. 236-4, à savoir la faculté pour le traité de prévoir que “l'opération prend effet à une autre date, laquelle ne doit être ni postérieure à la date de clôture de l'exercice en cours de la ou des sociétés bénéficiaires ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui transmettent leur patrimoine”. Le principe, en droit français, étant la liberté, il nous semble que cette faculté, avec les limites (de bon sens comptable et fiscal) posées par l’article L. 236-4 puisse être appliquée.
A noter : la même question s’était posée pour les transmissions universelles de patrimoine (TUP) ou autrement appelées « confusion de patrimoines ». Le ministère de la justice avait alors répondu "[... ] la rétroactivité n'a qu'un caractère exceptionnel dans notre droit et ne se préjuge pas [...] et [...] qu'il n'y a pas de rétroactivité sans texte [...]", (Lettres du Garde des Sceaux au président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes du 10 avril 2003 et au délégué général de l'Association nationale des sociétés par actions du 27 avril 2004).
De même, à la différence des sociétés commerciales (L. 236-3), le code civil ne précise pas que la fusion entraine la dissolution sans liquidation de la société qui disparait et la transmission universelle de son patrimoine à la société bénéficiaire, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération. Il ne fait aucun doute que le même régime s’applique aux sociétés civiles, une telle dissolution et transmission universelle étant inhérents à la fusion.
DEBATS SUR LA FUSION SIMPLIFEE
S’agissant des fusions dites simplifiées (lorsque la société absorbante détient au moins 90,00 % des parts de la société absorbée), la consultation des associés de la société absorbante n’est pas requise même si “les statuts prévoient la consultation des associés de la société absorbante” (1854-1). La condition des 90,00 % s’apprécie entre la date du dépôt du projet de traité de fusion et la date de réalisation de l’opération.
Certains estiment que, aucune disposition n’imposant le dépôt du traité de fusion, la condition de détention des 90,00 % serait impossible à vérifier rendant le régime de la fusions simplifiée inapplicable. Nous ne sommes pas d’accord pour deux raisons. La première, tient au fait que, contrairement aux sociétés commerciales, la répartition du capital des sociétés civiles résulte des statuts de la société et son opposabilité aux tiers de leur publication au registre du commerce et des sociétés (voir notre article sur ce point). Il est donc possible pour les sociétés civiles de prouver la détention de 90,00 % des parts sociales. La seconde raison tient au fait que le fondement légal du dépôt du traité résulte justement de l’article 1854-1 (nul besoin d’un texte réglementaire particulier).
En revanche, plus délicate est la question tenant au défaut de publicité du projet de fusion, contrairement aux sociétés commerciales, qui empêcherait le droit d’“un ou plusieurs associés de la société absorbante réunissant au moins 5 % du capital social“ de “demander en justice la désignation d'un mandataire aux fins de provoquer la consultation des associés de la société absorbante pour qu'ils se prononcent sur l'approbation de la fusion”. Mais là encore, l’argument n’est pas déterminant. L’article 1854-1 prévoit bien une publicité, celle du dépôt du projet de traité au greffe du tribunal de commerce. Or, ce mode de publicité est connu pour les réductions de capital non motivées par des pertes lesquelles, pour l’exercice par les créanciers de leur droit d’opposition, ne prévoient aucune publication mais, comme publicité, un simple dépôt de la décision au greffe (L. 223-34, R. 223-35). Il conviendra de voir la pratique des greffes en la matière (acceptation ou refus du dépôt du traité de fusion).
Il n’en reste pas moins que la problématique reste limitée. En effet, si pour les sociétés commerciales, la fusion simplifiée permet d’éviter un certain nombre de formalités (comme la désignation d’un commissaire à la fusion), en matière de fusion de sociétés civiles, son seul intérêt est finalement d’éviter une décision de la collectivité des associés de la société absorbante laquelle nécessite une formalité qui n’est normalement pas prévue, celle du dépôt du traité. Au final, l’intérêt de la fusion simplifiée pour les sociétés civiles reste très limité, à l’exception peut-être, de la possibilité, pour les sociétés civiles détenues à 100,00 %, de pouvoir procéder à leur fusion en présence d’un actif net négatif (puisque la fusion ne donne pas lieu à émission de parts sociales chez la société absorbante).
A noter : la fusion simplifiée ou fusion-absorption d’une société détenue à 100,00 % peut avoir un intérêt financier par rapport à la transmission universelle de patrimoine de l’article 1844-4 du code civil (TUP) car, certainement par inadvertance, contrairement à la TUP, l’absorption d’une société civile ayant des actifs immobiliers ne serait pas soumise à la taxe de publicité foncière visée à l’article 678 du code général des impôts et aux frais d’assiette et de recouvrement visés à l’article 1647, V du code général des impôts.
Avocat au barreau de Paris
Voir également nos autres articles sur les fusions : Le casse-tête des formalités de la fusion simplifiée (SAS) ; Est-il possible d'exclure des passifs dans une fusion (L. 236-3) ? ; Fusion simplifiée entre sociétés par actions : les opérations préalables à vérifier ou à réaliser (L. 236-11) ; Les fusions entre sociétés par actions et sociétés civiles (1844-4, 1854-1, L. 236-11) ; Les délais d'opposition : réduction de capital, fusion, scission, TUP, fonds de commerce (L. 223-34, L. 225-205, L. 236-14, L. 236-21, 1844-5, L. 141-12) ; Fusion entre société par actions et société civile : faut-il désigner un commissaire à la fusion ou aux apports (L. 236-10, L. 225-147) ? ; Fusion-absorption : parité d'échange, augmentation de capital, prime, boni et mali de fusion (pratique et calculs) ; Une fusion à l'envers peut-elle bénéficier du régime des fusions simplifiées (1854-1, L. 236-11, L. 236-12, L. 236-23) ? ; Fusion et scission : opposition des créanciers, que signifie l'inopposabilité de l'opération ? (C. com., L. 236-15, L. 236-24, L. 236-26) ; La réforme du régime des fusions, scissions et apports partiels d'actifs (O. 2023-393, d. 2023-430, C. com., L. 236-1 et s., R. 236-1 et s.) ; Le régime des fusions applicable selon la forme des sociétés participantes (SARL, SAS, SA, SCI, SNC, société en commandite simple ou par actions)