Une fusion à l'envers peut-elle bénéficier du régime des fusions simplifiées (1854-1, L. 236-11, L. 236-12, L. 236-23) ?
Question : l’absorption d’une société mère par sa filiale détenue à 100,00 % est-elle soumise au régime des fusions simplifiées ?
Réponse : non.
! Attention ! Entrée en vigueur de l’ordonnance n° n° 2023-393 renumérotant les articles du code de commerce sur les fusions (voir notre article), cet article n’a pas encore été mis à jour.
Explications : on sait que le code civil (1854-1) et le code de commerce (L. 236-11, L. 236-12 ancien L. 236-11-1, L. 236-23) prévoient une procédure allégée pour les fusions entre sociétés dont l’une détient entre 90,00 % et 100,00 % du capital social (et des droits de vote) de l’autre. C’est le régime des fusions dites “simplifiées”.
A noter : sur l’application du régime des fusions simplifiées lorsqu’une société civile est impliquée (voir nos articles ici et ici).
A noter : sur l’origine des textes, voir le rapport du sénateur Etienne Dailly (Sénat, séance du 4 novembre 1987, p. 12 et suivantes). Le régime des fusions simplifiées résulte des articles 24 et suivants de la troisième directive du Conseil du 9 octobre 1978 qui donnera naissance à l’article 378-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 codifié par la suite à l’article L. 236-11.
Généralement la société mère absorbe sa filiale, mais, pour différentes raisons, la filiale peut absorber la société mère, c’est la fusion dite “à l’envers” ou “inversée”. Une telle fusion peut-elle bénéficier du régime des fusions simplifiées ?
A noter : le principal avantage de la fusion simplifiée dans ce cas serait, pour les sociétés commerciales, l’absence de désignation d’un commissaire à la fusion et aux apports.
A noter : lorsque la filiale absorbe la société mère, les parts ou actions de la filiale qui étaient détenues par la société mère seront généralement (obligatoirement s’il ne s’agit pas d’une société par actions) annulées. La différence (si elle est positive) entre la valeur réelle de ces parts ou actions (valeur d’apport) et leur valeur nominale (montant de la réduction de capital) vient diminuer les capitaux propres de la filiale à savoir les réserves (y compris prime de fusion) et, pour le solde, le report à nouveau débiteur. Si la différence est négative, alors elle constitue une prime de fusion (ou vient s’ajouter à elle). Aucun mali technique de fusion n’est constaté. Sur ces questions, voir notre article. Néanmoins, dans une fusion à l’envers, dans la mesure où la société absorbante par définition survie aux opérations de fusion, un échange de ces parts ou actions avec les anciennes parts ou actions de l’absorbée pourra intervenir évitant tout impact sur les capitaux propres.
A noter : on peut retrouver la même question dans le schéma à l’endroit suivant qui aboutit pourtant au même résultat qu’une fusion simplifiée. La société absorbante est détenue par un associé unique lequel détient avec la société absorbante la totalité des parts ou actions de la société absorbée. Au final, les titres de la société absorbante émis en contrepartie des apports de la société absorbée seront attribués en totalité à l’associé unique qui restera … associé unique. Certes avec plus de parts ou actions mais au final sa quote-part par titres dans les capitaux propres de la société absorbante sera identique. On peut se demander si dans ce cas la rémunération de la fusion est nécessaire (fusion renonciation de la société absorbante et de l’associé unique de l’associé absorbante).
La rédaction des textes actuels ne permet pas de soumettre une telle fusion au régime des fusions simplifiées. Selon ces textes, c’est la société absorbante qui doit détenir les parts ou actions de la société absorbée (1854-1 du code civil : “la société absorbante détient au moins 90 % des parts de la société absorbée”, L. 236-11 du code de commerce : “la société absorbante détient en permanence la totalité des actions représentant la totalité du capital des sociétés absorbées”). L’inverse n’est pas prévu (dans notre cas c’est la société absorbée qui détient les parts ou actions de la société absorbante).
La raison est simple. Dans une fusion simplifiée à 100,00 % et “à l’endroit”, les associés de l’absorbante ne changent pas de statut (ils restent toujours associés de l’absorbante) alors que dans une fusion à 100,00 % et à l’envers les associés de l’absorbée deviennent associés de l’absorbante.
Même si la situation au final est la même (confusion des patrimoines de l’absorbante et de l’absorbée), la fusion à l’envers entraîne une augmentation de capital chez l’absorbante ou un échange de parts ou d’actions permettant de faire entrer les associés de l’absorbée. Il y a donc une “rémunération” (les parts ou actions de l’absorbée) en échange des apports (voir toutefois notre remarque sur l’actif net négatif). Si la consultation des associés de l’absorbante paraît inutile, la consultation des associés de l’absorbée paraît nécessaire pour se prononcer sur l’opération (même si au final la répartition du capital social et des droits de vote entre les associés, sauf rompus, sera mathématiquement sensiblement la même).
A noter : lorsque la société-mère est elle-même détenue à 100,00 % (fusion à l’envers d’une filiale avec une sous-holding), l’opération ressemble à s’y méprendre à une fusion simplifiée puisqu’il y a finalement suppression “d’un étage” comme le ferait une fusion simplifiée à l’endroit, l’associé unique de la société-mère devenant associé unique des entités fusionnées. C’est dans ce cas qu’on aurait pu s’interroger sur l’application du régime des fusions simplifiées à une fusion à l’envers.
A noter : les traités de fusion à l’envers prévoient généralement une augmentation de capital suivi d’une réduction de capital par annulation des parts ou actions de la société absorbante qui étaient détenues par l’absorbée. Or, le résultat est le même en cas d’échange de parts ou actions de l’absorbante puisque les parts ou actions données en échange ne seront pas annulées, seul le reliquat (s’il existe) l’étant, ce qui revient au final au même. Prenons un exemple : soit une augmentation de capital de l’absorbante de 4 000 euros pour un capital existant de l’absorbante de 10 000 euros. On a ainsi 14 000 euros de capital à l’issue de la fusion puis annulation des 10 000 euros de capital (autodétenu) aboutissant à un capital restant de 4 000 euros (14 000 euros - 10 000 euros). En cas d’échange, 4 000 euros de capital existant sur les 10 000 euros sont attribués aux associés de la société absorbée, le reliquat, soit 6 000 euros de capital initial étant annulé, soit un capital restant de 4 000 euros (10 000 euros - 6 000 euros). Reste toutefois la question de l’ordre des opérations. L’absorbante ne recevra ses propres parts ou actions que lors de la réalisation de la fusion (c’est-à-dire du transfert du patrimoine de l’absorbée). Peut-elle échanger ses propres parts ou actions après la réalisation du transfert ou cet échange est-il une modalité de la fusion qui doit se faire concomitamment avec la réalisation de la fusion c’est-à-dire au moment du transfert du patrimoine ? A notre avis, la situation est la même qu’en cas d’augmentation de capital par création de parts ou actions nouvelles. En effet, pour que cette augmentation de capital puisse intervenir, il faut que l’apport intervienne pour “libérer” les actions nouvelles émises. Donc le transfert de l’apport est bien antérieur à la création et l’attribution des parts ou actions nouvelles de la société absorbante. Nous sommes donc dans un schéma identique en cas d’échange (en un instant de raison les actions de l’absorbante lui sont apportées lesquelles sont ensuite remises en tout ou partie aux associés de l’absorbée).
Il conviendra donc d’appliquer le régime classique des fusions avec, si la fusion se fait par échange de parts ou d’actions, quelques adaptations dans la mesure où l’opération ne donne pas lieu à augmentation de capital.
A noter : la possibilité de fusionner, dans une fusion simplifiée, une société dont l’actif net serait négatif ne s’appliquerait donc pas aux fusions à l’envers d’une filiale détenue à 100,00 % dans la mesure où il y a rapport d’échange donnant lieu à l’attribution de parts où d’actions. Toutefois, on peut s’interroger en cas d’échange de parts ou d’actions puisqu’il n’y a pas d’augmentation de capital et donc nécessité de libérer le capital.
La commission juridique de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes a d’abord refusé dans le cadre d’une fusion simplifiée l’absorption d’une société dont l’actif net était négatif aux motifs (sur la base d’une recommandation de 1983 de l’Ordre des experts-comptables) que “la méthode d’apport aux valeurs comptables n’est pas possible dans l’hypothèse où la valeur nominale des titres émis en rémunération du patrimoine transféré est supérieure à la valeur comptable de celui-ci” (Bulletin, 1993, n° 92, p. 545). La doctrine était d’un avis contraire notamment le professeur Daigre (cité par la Compagnie) pour qui une telle opération était possible “puisqu’il n’y a pas d’échange de titres et augmentation de capital” (J.-J. Daigre, JCP Entreprise, 30 juillet 1992, p. 363).
La Compagnie a finalement admis cette possibilité aux motifs que “l’article [L. 236-3] prévoit en son alinéa 2 qu’il n’est pas procédé à l’échange d’actions […] il est donc acquis que, dans un tel cas, aucun échange de titre ne doit intervenir et qu’en conséquence, il n"y a pas d’augmentation de capital de la société absorbante” (Bulletin, 1994, n° 117, § 40, p. 598).
Cette dernière position a été confirmée par la Compagnie sur la base de plusieurs motifs : l’introduction de la fusion-reononciation (c’est-à-dire l’absence d’augmentation de capital et donc l’absence d’apport “positif” obligatoire), la notion d’apport n’est pas intrinsèque à la notion de fusion (ainsi que le confirme la loi Madelin du 11 février 1994), le rapport du commissaire aux apports doit apprécier la valeur des apports en nature mais faute d’augmentation de capital il n’a pas à vérifier que le montant de l’actif net apporté par la société absorbée est au moins égal au montant de l’augmentation du capital de la société absorbante (Bulletin, 2000, n° 95, p. 99 et s.).
On peut donc constater, à la lecture de l’ensemble de ces avis, que l’absence d’augmentation de capital est soit la cause soit la conséquence de l’acceptation de l’absorption d’une société dont l’actif net serait négatif. Or, puisque, dans notre hypothèse, l’absorbée détient l’intégralité des droits sociaux de l’absorbante, l’opération ne donnera pas lieu à augmentation de capital pour rémunérer les associés de l’absorbée (qui vont devenir associés ou actionnaires de l’absorbante) mais à un échange de droits sociaux (les parts ou actions existantes de l’absorbante contre les parts ou actions de l’absorbée). Certes, l’absence d’échange était visé par la doctrine et la Compagnie, mais cet échange était lié à une augmentation de capital (voir le “et” du professeur Daigre et le “en conséquence” de l’avis de la Compagnie de 1993), et surtout la position a finalement évolué pour accepter de telle opération en l’absence tout simplement d’augmentation de capital. Or, un échange de parts ou d’actions existantes ne donne pas lieu à une augmentation de capital. Dans ce cas d’échange, on pourrait donc, selon nous, avoir une fusion avec une société mère absorbée ayant des capitaux propres négatifs.
A noter : pour les mêmes raisons que l’admission de l’absorption d’une société dont l’actif net est négatif, en l’absence d’augmentation de capital (donc en cas d’échange seulement des parts ou actions de la société absorbante avec les parts ou actions de la société absorbée), est-il nécessaire, pour les fusions entre sociétés par actions, entre sociétés à responsabilité limitée ou entre ces deux formes de sociétés, de désigner un commissaire à la fusion (et aux apports) ? La problématique en l’espèce est que la désignation d’un commissaire à la fusion est expressément écartée uniquement pour les fusions simplifiées “à l’endroit” (L. 236-11, al. 1). Rien de tel pour les fusions à l’envers dont on sait qu’elles relèvent du droit commun des fusions et que l’article L. 236-10 (I, et II) exige la désignation d’un commissaire à la fusion “sauf si les actionnaires des sociétés participant à l'opération de fusion en décident autrement”, c’est-à-dire à l’unanimité. En l’absence de commissaire à la fusion, un commissaire aux apports est normalement désigné (L. 236-10, III). Dans la mesure où l’opération ne donne pas lieu à augmentation de capital, cette désignation est-elle nécessaire ? La mission du commissaire est d’apprécié “la valeur des apports en nature” (L. 225-147), il décrit chacun des apports, indique quel mode d'évaluation a été adopté et pourquoi il a été retenu et affirme que la valeur des apports correspond au moins à la valeur nominale des actions à émettre, augmentée éventuellement de la prime d'émission (R. 22-10-8 sur renvoi de R. 225-136). Comme l’indiquait la Compagnie nationale des commissaires aux comptes dans son avis de 2000 sur les fusions simplifiées à l’endroit (voir note précédente), dans ce cas le “commissaire aux apports apprécie la valeur des apports en nature […] faute d’augmentation de capital, il n’a évidemment pas à vérifier que le montant de l’actif net apporté par la société absorbée est au moins égal au montant de l’augmentation de capital de la société absorbante”. Cela signifierait donc que la désignation d’un commissaire aux apports reste nécessaire si la désignation d’un commissaire à la fusion a été expressément écartée. Mais dans une admirable démonstration, en cohérence avec la reconnaissance que la fusion n’est pas un apport, notre confrère Antoine Bonnasse rappelle justement que la rédaction de l’article L. 236-10, III est maladroite, le texte aurait dû viser les fusions rémunérées par l’émission d’actions nouvelles par opposition aux fusions sans augmentation de capital (cas de la société absorbée intégralement détenue par la société absorbante ou de la fusion rémunérée par des actions existantes) (Juris-Classeur, Société Traité, Fusions-scissions, §. 25). Nous avons eu confirmation par un commissaire aux apports que dans un tel cas (fusion rémunérée uniquement par des parts ou actions existantes), son intervention n’était pas nécessaire.
Quel serait le risque ? Nous ne pensons pas que la fusion serait nulle sauf pour certains associés à invoquer le dol, mais les associés ayant par définition décidé à l‘unanimité de ne pas désigner de commissaire à la fusion, pourraient-ils se prévaloir de l’absence de désignation d’un commissaire aux apports ? Pour éviter ce risque, au moment de la désignation, il faudrait faire acter aux associés l’absence de désignation envisagée d’un commissaire aux apports. Si la fusion était nulle, la prescription de 6 mois ferait courir un risque limité sous réserve de l’exception de nullité qui est perpétuelle. Un risque éventuellement de responsabilité (non pas de plein droit à l’instar de la constitution d’une SARL ou d’une SAS mais de droit commun) des associés en cas de surévaluation du patrimoine (mais ce risque semble très limité du fait que le patrimoine est généralement apporté à la valeur nette comptable et non à la valeur réelle). Un risque opérationnel : le greffe pourrait bloquer les formalités à défaut de dépôt du rapport du commissaire aux apports, mais normalement il ne peut le faire que pour les sociétés anonymes seules tenues aux déclarations de conformité. Enfin un risque futur en cas d’opération d’audit entraînant alors des interrogations de l’acquéreur ou de l’investisseur quant à la validité de l’opération et une éventuelle renégociation du prix ou abandon de l’investissement.
A noter : le traité de fusion devra prévoir expressément l’annulation des parts ou actions pour que cette opération soit considérée comme une modalité de la fusion et non comme une réduction de capital non motivée par des pertes (voir Association nationale des sociétés par actions, comité juridique, avis n° 18-055 du 7 novembre 2018).
Avocat au barreau de Paris
Voir également nos autres articles sur les fusions : Le casse-tête des formalités de la fusion simplifiée (SAS) ; Est-il possible d'exclure des passifs dans une fusion (L. 236-3) ? ; Fusion simplifiée entre sociétés par actions : les opérations préalables à vérifier ou à réaliser (L. 236-11) ; Les fusions entre sociétés par actions et sociétés civiles (1844-4, 1854-1, L. 236-11) ; Les délais d'opposition : réduction de capital, fusion, scission, TUP, fonds de commerce (L. 223-34, L. 225-205, L. 236-14, L. 236-21, 1844-5, L. 141-12) ; Fusion entre société par actions et société civile : faut-il désigner un commissaire à la fusion ou aux apports (L. 236-10, L. 225-147) ? ; Fusions entre sociétés civiles (SCI et autres) : revue des spécificités et débats sur la fusion simplifiée (C. civ., 1844-4, 1854-1) ; Fusion-absorption : parité d'échange, augmentation de capital, prime, boni et mali de fusion (pratique et calculs) ; Fusion et scission : opposition des créanciers, que signifie l'inopposabilité de l'opération ? (C. com., L. 236-15, L. 236-24, L. 236-26) ; La réforme du régime des fusions, scissions et apports partiels d'actifs (O. 2023-393, d. 2023-430, C. com., L. 236-1 et s., R. 236-1 et s.) ; Le régime des fusions applicable selon la forme des sociétés participantes (SARL, SAS, SA, SCI, SNC, société en commandite simple ou par actions)