Cession de gré à gré dans les liquidations judiciaires : les conditions de la vente (C. com., L. 642-19).

Aux termes de l’article L. 642-19 du code de commerce, “Le juge-commissaire […] autorise, aux prix et conditions qu'il détermine, la vente de gré à gré des autres biens du débiteur lorsqu'elle est de nature à garantir les intérêts de celui-ci.”.

A noter : bien que l’article L. 542-19 vise les « biens », il inclut également le fonds de commerce qui est une universalité (voir R. 642-38 qui vise expressément le fonds de commerce). Mais, le fonds de commerce ne se confond pas avec le bail (donc la cession du seul droit au bail n’équivaut pas à une cession du fonds de commerce et vice-versa : Cour de Cassation, 6 décembre 1982, n° 81-14.422 ; 15 octobre 2002, n° 99-17.105). En tout état de cause, le liquidateur est tenu dans l’offre d’acquisition de pleinement informer l’acquéreur des prescriptions ou spécificités afférentes au fonds (particularités du droit au bail, autorisations administratives nécessaires, etc.) sous peine d’engager sa repsonsabilité.

Même si cette solution a été critiquée, une telle vente est considérée comme ayant été faite par autorité de justice (Cour de cassation, 4 mai 2017, n° 15-27.899 ; 23 mars 2022, n° 20-19.174). Or, aux termes de l’article 1649 du code civil, l’action contre les vices rédhibitoires, c’est-à-dire contre les vices cachés (et celle-ci seulement) ne peut être intentée par l’acheteur. De même, le droit de préemption légale de l’article L. 145-46-1 du code de commerce n’est pas applicable (Cour de cassation, 23 mars 2022, précité).

A noter : la solution est en effet critiquable car l’acquéreur se voit ainsi retirer une garantie légale, comme en matière de vente aux enchères, alors que d’autre sujétions lui sont imposées, contrairement à la vente aux enchères, comme la purge des inscriptions (L. 143-1 et s., R. 642-38). Il conviendra donc de faire attention, dans l’acte de cession, aux modalités de purge des droits des créanciers si des inscriptions ont été faites ainsi que des conditions de règlement du prix.

En revanche, le vendeur en liquidation judiciaire doit, sauf mention de l'ordonnance du juge-commissaire le soustrayant à l'exécution de ces obligations, les autres garanties parmi lesquelles l’obligation d’information précontractuelle (1112-1), de délivrance (1604 et s.) et la garantie d’éviction (équivalente à la clause de non-concurrence, 1626 et. s.). Ne vous laissez donc pas impressionner par les stipulations que l’on rencontre parfois dans les projets d’acte de cession comme “les garanties prévues par le droit commun de la vente ne sont pas applicables”. Ces mentions générales ne sont pas, à l’exception de la garantie des vices cachés, régulières si de telles exclusions ne sont pas prévues par l’ordonnance.

A noter : l’obligation de délivrance étant une obligation essentielle (1170), le juge-commissaire ne pourrait soustraire le vendeur de cette obligation. Il nous semble qu’il en irait de même de la garantie d’éviction du fait personnel du vendeur (cela reviendrait à anéantir obligation de délivrance).

Les contrats quant à eux ne sont pas transférés de plein droit (Cour de cassation, 28 juin 2017, n° 15-17.394) contrairement aux dispositions de l’article L. 642-7 du code de commerce (plan de cession), sauf accord du cocontractant cédé (Cour de Cassation, 13 mai 2003, n° 00-13.397). Il convient donc de prévoir à la fois la cession du contrat et son acceptation par le cocontractant cédé, à défaut le juge-commissaire commettrait un excès de pouvoir (Cour de cassation, 26 juin 2001, n° 98-15.883). En revanche, si le contrat cédé prévoit la possibilité de sa cession, la cession peut alors intervenir dans les conditions stipulées au contrat pourvu que le juge-commissaire ait donné son autorisation à la cession de ce contrat (Cour de cassation, 9 mai 2007, n° 06-10.064).

A noter : nous avons ainsi rencontré en pratique une ordonnance autorisant la cession des actifs mais non le droit au bail (contrat) malgré l’accord (implicite) donné par le bailleur lors de l’audience. Il convient donc de bien vérifier ce point lors de l’audience et de la remise de l’ordonnance pour éviter des déconvenues lors de la rédaction des actes (le liquidateur n’étant pas alors autorisé).

Si la vente est parfaite au jour de l’ordonnance du juge-commissaire, sous réserve qu’elle acquière autorité de chose jugée et d’absence de remise en cause du jugement de liquidation judiciaire, le transfert de propriété est reporté soit à la date de signature des actes (Cour de cassation, 29 octobre 2002, n° 98-19.188), soit à la date indiquée dans l’ordonnance (Cour de cassation, 5 janvier 2010, n° 08-12.156). Les risques sont donc à la charge du débiteur en liquidation jusqu’au transfert de propriété.

A noter : l’acquéreur est en droit, même si l’ordonnance n’a fait l’objet d’aucun recours et a acquis force de chose jugée, de refuser de signer les actes si ceux-ci ne correspondent pas à son offre (Cour de cassation, 17 octobre 2018, n° 16-25.521 : “le cessionnaire […] ne peut être tenu que dans les termes de son offre” ; Cour de cassation, 28 juin 2006, n° 05-12.412 : “alors que pour réaliser l'accord de volonté des parties, l'acceptation de l'offre doit être conforme aux conditions fixées par le pollicitant”) ou si le rédacteur refuse de sécuriser au maximum l’opération (cour d’appel de Bordeaux, 30 mai 2007, n° 06/02049 : “Cependant, la vente du fonds s'est trouvée bloquée par le notaire qui invoquait son obligation d'assurer la sécurité juridique de la vente et il appartenait alors au liquidateur judiciaire, informé de cette position et responsable des conditions dans lesquelles le projet de cession avait été soumis au juge-commissaire de faire le nécessaire pour apporter au notaire tous éclaircissements utiles sur la situation réelle. Largement responsable du défaut de réalisation de l'acte de vente du fonds de commerce, le liquidateur n'est pas fondé en son action à l'encontre de l'acquéreur.”). On peut aussi y ajouter l”indétermination de la chose vendue dans l’ordonnance du juge-commissaire (nous avons eu le cas d’une ordonnance mentionnant des actifs indéterminables à tel point que l’on ne savait pas s’il y avait cession de la clientèle et donc du fonds de commerce).

La vente de gré à gré, bien qu’une vente sous autorité de justice, n’étant pas une vente aux enchères (L. 143-12) ni un plan de cession (L. 642-12), les dispositions de droit commun applicables en cas de vente du fonds de commerce s’appliqueraient à la cession du fonds en exécution de l’article L. 642-19 (Cour de cassation, 20 octobre 1998, n° 96-15.10 : “c’est sans remettre en cause l'autorisation de cession de gré à gré de la licence donnée par le juge-commissaire que la cour d'appel a décidé que, dès lors que subsistait le fonds dont la licence constituait un élément, la cession était soumise à la procédure instituée par les articles 22 et suivants de la loi du 17 mars 1909” ; 10 janvier 2006, n° 03-19.519 : “la loi du 25 janvier 1985 ne contient aucune disposition régissant la procédure de surenchère du créancier inscrit en cas de cession amiable du fonds de commerce autorisée par le juge-commissaire, l'arrêt en déduit exactement qu' à défaut de dérogation aux dispositions de la loi du 17 mars 1909 sur la cession du fonds de commerce, les formalités qu'elle prévoit en son article 23, devenu les articles L. 143-13 à L. 143-15 du Code de commerce, doivent être respectées par le créancier surenchérisseur”).

Rappelons que le jugement prononçant la liquidation judiciaire ou sur la cession en cas de continuité de l’activité rend exigible les créances (L. 643-1).

Cela entraîne deux conséquences. Conformément à l’article L. 141-17 du code de commerce “L'acquéreur qui paie son vendeur sans avoir procédé aux publications prescrites, ou avant l'expiration du délai de dix jours, n'est pas libéré à l'égard des tiers.” En effet, aux termes de l’article L. 141-14, “aucun transport amiable ou judiciaire du prix ou de partie du prix n'est opposable aux créanciers qui se sont ainsi fait connaître”. Cela signifie donc qu’il faut, pour lever tout risque pour l’acquéreur de se voir réclamer le paiement du prix de cession par les créanciers du débiteur, attendre la fin du délai d’opposition de 10 jours. Selon la nature des créances des opposants (créance née avant le jugement d’ouverture ou après ce jugement) et l’existence d’inscription sur le fonds, il conviendra de s’interroger sur l’allocation du prix de cession.

A noter : il nous a été opposé que les dispositions des articles L. 622-21, L. 643-8 et L. 643-7-1 dérogeraient, par leur caractère d’ordre public, aux dispositions générales sur la cession du fonds de commerce et donc aux dispositions de l’article L. 141-14. Il convient de noter que ces dispositions visent l’”actif distribuable” et les créanciers du débiteur. Le prix de cession d’un fonds de commerce est-il un “actif distribuable” avant la purge du droit des créanciers ? Par ailleurs, ces dispositions concernent le débiteur et non l’acquéreur du fonds à qui les créanciers peuvent opposer son obligation de paiement à leur encontre (l’acquéreur n’étant pas tenu par les dispositions des articles précités). Quant aux créanciers, il sont soumis aux règles de paiement de la procédure pour autant qu’ils soient chirographaires ou qu’il ne dispose pas d’un droit ou privilège particulier. Or, l’inscription sur le fonds confère un droit de suite qu’il faut purger.

En effet, la vente du fonds en application de l’article L. 642-19 ne purge pas les droits des créanciers inscrits du débiteur sur le fonds de commerce. L’article R. 642-38 du code de commerce dispose à cet effet que: “En cas de cession d'un fonds de commerce, le cessionnaire peut saisir le juge-commissaire pour faire prononcer la radiation des inscriptions. Il joint à sa demande […] la justification de l'accomplissement des formalités de purge […]”), l’acquéreur pouvant toutefois obtenir l’accord des créanciers inscrits pour le dispenser de procéder à la purge.

Les créanciers inscrits au titre d’un privilège ou d’un nantissement sur le fonds de commerce du débiteur peuvent donc soient acceptés les offres de l’acquéreur à fin de purge (L. 143-12 ; R. 143-1) soit refuser ces offres et demander la mise aux enchères (L. 143-13 ; voir la jurisprudence précitée de la Cour de cassation).

En d’autres termes, les parties à l’acte de cession (liquidateur et acquéreur) doivent prévoir un mécanisme permettant de faire face aux éventuelles oppositions des créanciers ou réclamations des créanciers inscrits ou à la solidarité fiscale (1684), l’acquéreur n’étant pas libéré par une cession de gré à gré.

A noter : lorsque le prix est payé le jour de l’audience, il appartient au liquidateur de ne pas distraire le prix tant que les publications, le délai d’opposition et de solidarité fiscale n’ont pas été faites ou n’ont pas expiré. A défaut, celui-ci engagerait, selon nous, sa responsabilité.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris