La Loi Pacte (2019-486) et les opérations sur le capital des SAS (augmentation de capital, réduction de capital, stock-options, attribution gratuite d’actions, etc.)
La loi n° 2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi « Pacte » est venue clarifier certaines dispositions du code de commerce et la « controverse » qui oppose la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) sur la nécessité de désigner provisoirement un commissaire aux comptes pour certaines opérations sur le capital.
Rappel de la controverse
La commission des études juridiques de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) distingue les deux cas suivants (Bulletin CNCC, n° 156, décembre 2009, p. 700 à 704). Lorsque le texte prévoit l'intervention « du ou des » commissaires aux comptes (article défini), il devait s'entendre des commissaires aux comptes en place dans la société dans le cadre de leur mission légale et les dispositions relatives aux commissaires aux comptes ne trouvaient pas à s'appliquer aux SAS non soumises au contrôle légal. Tel était le cas pour : les augmentations de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription (c. com. art. L. 225-135 et R. 225-114), les transformations (c. com. art. L. 225-244), les réductions de capital (c. com. art. L. 225-204), les augmentations de capital libérées par compensation de créances (c. com. art. L. 225-146 et R. 225-134), les options de souscription ou d'achat d'actions (c. com. art. L. 225-177), les attributions d'actions gratuites (c. com. art. L. 225-197), les opérations sur actions de préférence (c. com. art. L. 228-12 et L. 228-19), les émissions de valeurs mobilières (c. com. art. L. 228-92). Lorsque le texte prévoit l'intervention d'« un » commissaire aux comptes (article indéfini), la désignation d'un commissaire aux comptes pour la réalisation de l'opération visée est obligatoire. Tel est le cas pour la distribution d'un acompte sur dividende (c. com. art. L. 232-12).
La position de la CNCC a été reconfirmée à deux reprises dans des avis de la commission des études juridiques (Bulletin CNCC n° 176, décembre 2014, § 126, p. 612 et suivantes ; et avis n° 2022-78 de septembre 2023).
L’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) retient une interprétation différente en se fondant sur la distinction entre la réglementation spécifique aux SA et les dispositions communes à l'ensemble des sociétés commerciales : seules les dispositions spécifiques aux SA prévoyant l'intervention d'un commissaire aux comptes ne sont pas applicables aux SAS. Les dispositions communes à l'ensemble des sociétés commerciales leur sont en revanche applicables, comme par exemple l'intervention du commissaire aux comptes pour l'émission d'obligations convertibles en actions (ANSA, réunion du 3 décembre 2008).
Cette « controverse » est toujours d’actualité pour les textes qui n’ont pas été modifiés par la loi Pacte (voir par exemple pour les acomptes sur dividende et notre article sur le sujet Faut-il nécessairement un commissaire aux comptes pour distribuer un acompte sur dividendes ?).
Apport de la loi Pacte
L’intention du législateur est de clarifier les cas dans lesquels un commissaire aux comptes est devenu nécessaire pour certaines opérations lorsque les sociétés ne sont pas tenues ou n’ont pas désigné volontairement un commissaire aux comptes mettant ainsi un terme à la controverse entre la CNCC et l’Ansa (voir notre article Comprendre en une minute la réforme de la loi Pacte sur le rôle des commissaires aux comptes dans les sociétés par actions).
Le législateur a, en effet, pour certains articles, adjoint aux termes « commissaires aux comptes » les termes «, s'il en existe » et, pour d’autres articles, précisé « ou, s'il n'en a pas été désigné, d'un commissaire aux comptes désigné à cet effet ».
Les sociétés qui n’ont pas légalement ou volontairement de commissaire aux comptes n’ont pas besoin de rapport du commissaire aux comptes sur :
- l’augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription décidée par les associés (L. 225-135, al. 3 modifié par art. 20, I, 9°)
A noter : subtilité des textes. Si l’article L. 225-135, al. 3 n’oblige pas de désigner un commissaire aux comptes, en cas d’augmentation de capital réservée (personne dénommée, catégorie de personnes), l’article L. 225-138, II oblige de désigner un commissaire aux comptes pour statuer sur la prix d’émission ou les conditions de fixation de ce prix (voir ci-dessous et également notre article Augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription : quels rapports quel contenu ? (L. 225-135, L. 225-138, R. 225-113, R. 225-114, R. 225-115, R. 225-116, R. 225-117)).
A noter : la nécessité d’un rapport du commissaire aux comptes ne s’appliquerait pas pour les émissions de valeur mobilière donnant accès au capital si elles sont faites avec suppression du droit préférentiel de souscription (L. 228-92 du code de commerce) ou pour les “émissions” des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE) (163 bis G du code général des impôts) par les sociétés n’ayant pas désigné de commissaire aux comptes car la loi Pacte n’a pas modifié ces articles qui font toujours référence à un rapport “du commissaire aux comptes” ou des “commissaires aux comptes” et non “d’un commissaire aux comptes” (voir la controverse ci-dessus). Voir toutefois une réponse en sens contraire de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (Questions réponses relatives à l’application de la loi Pacte, juillet 2019).
Toutefois, s’agissant des BSPCE, dans la mesure où les BSPCE ne sont pas des valeurs mobilières (Voir Bulletin officiel des impôts, §. 300) du fait notamment de leur incessibilité et qu’ils ne peuvent être émis qu’au profit de personnes dénommées expressément par la loi (les bénéficiaires sont donc inhérents aux BSPCE), l’assimilation de l’émission des BSPCE à une émission “réservée” nous parait très contestable car les actionnaires ou associés n’ont pas un droit préférentiel à la souscription de ces “bons” (par exemple un associé qui ne serait pas salarié ou dirigeant) lesquels ne constituent qu’un droit de créance (à ne pas confondre avec un titre de créance) sur la société (celui d’avoir le droit de souscrire à des actions). Si les actionnaires ou associés n’ont pas de droit préférentiel à la souscription des BSPCE, il n’est donc pas nécessaire de se prononcer sur la suppression de ce droit (et encore moins de le céder ou d’y renoncer individuellement). Le seul fait de décider de l’émission de BSPCE entraîne de facto la renonciation des actionnaire ou associés à leur droit préférentiel sur les actions à émettre (non pas, comme on peut le lire trop souvent, en application de l’article L. 225-132, dernier alinéa qui vise l’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital ce que ne sont pas les BSPCE, mais tout simplement en application du régime de l’article 163 bis G qui réserve légalement les actions aux bénéficiaires légaux). Il s’agit de la même situation qu’une augmentation de capital réservée aux salariés (L. 225-129-6) qui est une opération imposée par la loi et qui ne nécessite pas de la part des actionnaires ou associés de se prononcer sur une décision spécifique de suppression du droit préférentiel de souscription (L. 225-129-2, al. 3) celle-ci étant inhérente à l’opération puisqu’imposée par la loi.
En réalité, les BSPCE sont une augmentation de capital potentielle différée réservée à une catégorie légale de personnes. Le renvoi aux articles L. 228-91 et L. 228-92 (qui eux-même renvoient aux articles L. 225-129 à L. 225-129-6 et aux articles L. 225-132 à L. 225-141) n’est que processuel mais n’a pas pour effet de changer la nature des BSPCE ou d’inclure les BSPCE dans le régime des valeurs mobilières donnant accès au capital, à laquelle ils n’appartiennent pas (P.-L. Perin, C. Baert, Valeurs mobilières donnant accès au capital : questions pratiques (1 ère partie), RDTF sept. 2006, p. 84 ; A. Grenot Devedjian, Les valeurs mobilières composées, thèse Paris 1, 2009, n° 45, p. 69 ; PH. Raimbour, M. Boizard Ingénierie financière, fiscale et juridique, Dalloz, 2009-2010, n° 14-62, p. 222 ; Droit du financement, Valeurs mobilières donnant droit à l’attribution de titres de capital ou de créance, Lamy, 2011, n° 480, cités par M. Michineau, Régime juridique des droits d’accès au capital. La protection des droits des porteurs de valeurs mobilières donnant accès au capital, 2016) . C’est la raison pour laquelle il est souvent déroutant pour nous (voir également dans le même sens, S. Gaillet, Quelle protection pour les porteurs de valeurs mobilières donnant accès au capital ?, Option finances 29 nov. 2004, p. 27) de lire que les porteurs de BSPCE seraient réunis en une masse ou qu’ils bénéficient des mécanismes de protection de l’article L. 228-99 du code de commerce. Pour justifier de l’application de ces dispositions, certains considèrent que “le renvoi à la procédure d’émission des valeurs mobilières donnant accès au capital suppose l’application aux BSPCE de l’ensemble du régime de ces titres” (Ansa, Émission de BSPCE : faut-il protéger les bénéficiaires en cas d’opérations financières ?, n° 12-069, 5 déc. 2012 ; voir également avis de l’Ansa visant (sic) la “masse” des porteurs de BSPCE, comité juridique n° 23-017 du 1er mars 2023). Si telle avait été l’intention du législateur, il n’aurait été nul besoin de créer une catégorie particulière de droit, celui-ci aurait alors fait référence à l’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital pour une catégorie de personnes. Au contraire, si le législateur a créé une catégorie particulière de droits c’est pour les distinguer le renvoi aux articles du code de commerce sur le régime d’émission des valeurs mobilières donnant accès au capital étant, encore une fois, processuel, pour protéger les actionnaires lors de l’émission, et non les titulaires de BSPCE. Le mimétisme avec les valeurs mobilières donnant accès au capital est, selon nous, tout simplement une aberration juridique.
- l’utilisation des délégations de pouvoir ou de compétence pour augmenter le capital social (L. 225-135, al. 4, 1ère phrase modifié par art. 20, I, 6°),
- le rapport complémentaire des organes de gestion en cas d’utilisation d’une délégation des associés d’arrêter la liste des bénéficiaires au sein d’une catégorie et le nombre de titres en cas de suppression du droit préférentiel de souscription (L. 225-138, I, al. 2, 2nde phrase modifié par art. 20, I, 11°),
- les émissions de « stock-options » (L. 225-177 al. 1, 1ère phrase modifié par art. 20, I, 5°),
- les opérations de réduction de capital (L. 225-204, al. 2, 1ère phrase modifié par art. 20, I, 5°),
- les conditions dans lesquelles la société a racheté ses propres actions et les a utilisées (L. 225-209-2, al. 14 modifié par art. 20, I, 5°),
- la transformation de la société (L. 225-244, al. 1, première phrase modifié par art. 20, I, 16°),
- le rapport spécial sur le respect par la société des droits particuliers attachés aux actions de préférence (L. 228-19, 2ème phrase modifié par art. 20, I, 19°),
- les documents prévisionnels en cas d’observations (L. 232-3, al. 1, 2ème phrase modifié par art. 20, I, 6°),
- le prix d’émission des actions émises en paiement de dividendes (L. 232-19, al. 3 modifié par art. 20, I, 6°).
En revanche, certaines opérations nécessitent dorénavant un commissaire aux comptes ad hoc y compris pour les sociétés qui ne sont pas tenues légalement d’en désigner un, à savoir :
- les augmentations de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription par offre au public ou placement privée (L. 225-136, 2° modifié par art. 20, I, 10°),
- les augmentations de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription au profit de personnes dénommées ou catégories de personnes s’agissant de la détermination du prix (L. 225-138, II modifié par art. 20, I, 10°),
- la libération des augmentations de capital par compensation de créance (L. 225-146, al. 2, 1ère phrase modifié par art. 20, I, 10°),
A noter : il semble que la mission du commissaire aux comptes ne soit que l’établissement du certificat du dépositaire, la certification de l’arrêté de compte du président prévue par l’article R. 225-134 du code de commerce ne visant que “le commissaire aux comptes”, et non “un commissaire aux comptes” (l’article n’ayant au demeurant pas été modifié suite à la loi Pacte par un décret). Cette interprétation a été confirmée récemment par un commissaire aux comptes au vu des normes professionnelles de la profession des commissaires aux comptes. [Mise à jour : interprétation confirmée par la commission des études juridiques de la CNCC dans son avis n° 2022-78 de septembre 2023).
- la fixation du prix des stock-options par les organes de gestion (L. 225-177, 4ème alinéa modifié par art. 20, I, 12°),
- l’attribution gratuite d’actions (L. 225-197-1, I, al. 1 modifié par art. 20, I, 13°),
- le rachat par la société de ses propres actions en vue de les attribuer pour certaines finalités prévues par la loi (L. 225-209-2, al. 11 modifié par art. 20, I, 13°).
Même si le texte ne le précise pas, la mission du commissaire aux comptes ad hoc devrait prendre fin avec la remise de son rapport ou attestation.
A noter il existe donc encore de nombreuses opérations où la “controverse” entre la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et l’Association nationale des sociétés par actions pourrait se retrouver. Ainsi, les acomptes sur dividendes (L. 232-12), l’émission d’actions de préférence (L. 228-12) ou l’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital (L. 228-92).
Pour l’émission d’actions de préférence (ADP), certains (B. Brignon, G.-A. Lucciardi, T. Granier, Actions de préférence, Juris-Classeur Sociétés traité, fasc. 1803, §. 30) tirent de la nécessité de prévoir dans le rapport l’incidence de l’émission (R. 228-17) ou de la conversion (R. 228-18) sur la situation des titulaires d’actions de capital ou de valeurs mobilières donnant accès au capital pour prévoir une désignation obligatoire certainement par analogie avec les dispositions en matière de suppression du droit préférentiel de souscription faisant intervenir l’avis du commissaire aux comptes sur “l'incidence de l'émission sur la situation des titulaires de titres de capital et de valeurs mobilières donnant accès au capital appréciée par rapport aux capitaux propres” (R. 225-115). Or, l’émission d’actions de préférence peut se faire sans suppression du droit préférentiel de souscription, les articles R. 228-17 et R. 228-18 précités ne visent pas spécifiquement l’incidence sur la situation des capitaux propres et une telle émission ne nécessite pas “Si la clôture est antérieure de plus de six mois à l'opération envisagée, […] une situation financière intermédiaire établie selon les mêmes méthodes et suivant la même présentation que le dernier bilan annuel” (R. 225-115) précité). C’est pourquoi, nous sommes d’avis, comme d’autres (exemple Memento pratique Francis Lefebvre, Sociétés commerciales, §. 74152) qu’une telle émission ne requiert pas la désignation obligatoire d’un commissaire aux comptes.
Malheureusement, la loi Pacte n’a pas simplifié les opérations de désignation car ces commissaires aux comptes ad hoc sont désignés non pas par les organes de gestion (comme cela est proposé par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes par exemple pour les acomptes sur dividendes, voir notre article Faut-il nécessairement un commissaire aux comptes pour distribuer un acompte sur dividende ?) mais par les associés (voir le renvoi à l’article L. 225-228 du code de commerce).
Entrée en vigueur
(art. 20, II)
Les nouvelles dispositions s’appliquent à compter du premier exercice clos postérieurement à la publication du décret et au plus tard le 1er septembre 2019 (donc pour les exercices clos à compter du 2 septembre 2019 soit pour une grande majorité pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2019).
Le législateur a prévu des mesures transitoires. Les mandats des commissaires aux comptes qui sont en cours se poursuivent. Toutefois, les sociétés qui ne dépasseraient pas les seuils réglementaires au cours de l’exercice clos avant l’entrée en vigueur de la loi pourront, en accord avec le commissaire aux comptes, réduire la durée du mandat à 3 exercices selon notre compréhension. Par ailleurs, pour celle qui devrait renouveler le mandat d’un commissaire aux comptes, ce renouvellement ne serait pas nécessaire si les quatre conditions suivantes sont remplies : l’exercice est clos à compter du 31 décembre 2018, la publication des décrets d’application est intervenue au plus tard 6 mois après la clôture de l’exercice, les associés ne se sont pas prononcés sur cet exercice clos avant la publication des décrets (ou le 1er septembre 2019) et la société ne remplit pas les seuils au vu de ces comptes clos.
Voir également notre article Quand doit-on nommer (désignation obligatoire) un commissaire aux comptes dans les sociétés par actions simplifiées (SAS) ?
Avocat au barreau de Paris