Peut-on fixer une prime d’émission pour les actions lors de la constitution d’une société par actions (SA, SAS) ?

Question d’un client : peut-on fixer une prime d’émission aux actions à créer lors de la constitution d’une société par actions (société anonyme, société par actions simplifiée) ?

Réponse : oui, que ce soit au titre des apports en numéraire ou des apports en nature (mais pour les apports en nature, les conséquences fiscales a posteriori doivent être appréciées avec circonspection).

Explications : les textes du code de commerce prévoient expressément la possibilité de fixer une prime pour les actions à créer et souscrites lors de la constitution d’une société par actions.

Ainsi, pour les sociétés anonymes (SA) à constituer dont les titres seront admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation (anciennement « appel public à l’épargne » ou « société cotée ») l’article R. 22-10-3 du code de commerce (ancien R. 225-3) prévoit expressément que « La notice [•••] publiée au Bulletin des annonces légales obligatoires [•••] contient les indications suivantes : [•••] 8° Le nombre des actions à souscrire contre numéraire et la somme immédiatement exigible comprenant, le cas échéant, la prime d'émission [•••] ».

De même, l’article R. 22-10-8 du même code (ancien article R. 225-8) prévoit que « Le rapport des commissaires aux apports [•••] affirme que la valeur des apports correspond au moins à la valeur nominale des actions à émettre, augmentée éventuellement de la prime d'émission. »

Rappelons que, si seulement l’article R. 22-10-8 précité est applicable aux sociétés anonymes qui ne seront pas « cotées » en bourse (R. 225-13), l’article R. 22-10-3 précité ne leur est pas applicable pour éviter la publicité au Balo, mais le principe visé en son 8° demeure.

Rappelons également que ces textes sont applicables aux sociétés par actions simplifiées (SAS) en application de l’article L. 227-1 du code de commerce.

Quel est l’intérêt en pratique de fixer une prime d’émission ?

Si le montant du capital peut avoir un intérêt pour la société vis-à-vis du crédit auprès de ses fournisseurs ou clients, un montant de capital trop important n’est parfois pas nécessaire ou opportun, d’autant que les capitaux propres restent les mêmes.

Exemple : soit un montant d’apports en nature évalués à 650 000 €. Le capital pourrait être de 50 000 € et la prime de 600 000 €.

L’intérêt de placer un certain montant en prime est principalement de pouvoir, dans un plus ou moins proche avenir, redistribuer tout ou partie du montant de la prime sans passer par la procédure de réduction de capital non motivée par des pertes qui a pour principal inconvénient, outre son délai et ses formalités de dépôt (R. 225-152), d’ouvrir à certains créanciers (et au représentant de la masse des obligataires) un droit d’opposition leur permettant notamment de demander le remboursement immédiat de leur créance (L. 225-205).

A noter : en matière fiscale, en cas d’apport en nature, il ne semble n’y avoir aucun intérêt fiscal pour les apports effectués au profit d’une société passible de l’impôt sur les sociétés. En effet, dans ce cas, l’apport en nature bénéficiant d’un report d’imposition de plein droit (150-0 B) car l’opération ne générerait pas immédiatement de liquidités, la prime d’émission, en cas de remboursement, ne serait pas traitée comme un remboursement d’apport et serait imposée (Conseil d’Etat, 7 mars 2019, n° 420094).

A noter, que s’il existe une soulte, il est préférable de diminuer la prime et d’augmenter le capital, car la prime n’est pas prise en compte dans le calcul qui exclut (150-0 B, alinéa 3) le sursis d’imposition si la soulte dépasse 10,00 % de la valeur nominale des titres (Conseil constitutionnel, 16 juin 2017, QPC n° 2017-638). En l’absence de valeur nominale, c’est le “pair comptable” qui est pris en compte (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20-10, §. 300 ).

A noter également que dans ce cas, en cas d’opération sur le capital, pour ne pas mettre fin au report d’imposition, il est préférable, en cas de réduction de capital, non pas d’annuler les titres, mais de réduire le nominal notamment en cas de réduction de capital motivée par des pertes (voir Assemblée nationale, Réponse du ministre de l’économie, 29 août 2023, question n° 7128).

Un autre intérêt réside dans la réglementation sur le niveau des capitaux propres (voir nos articles : ici et ici). En réduisant le capital social au bénéfice de la prime, un “matelas” est ainsi constitué qui permet d’apurer les pertes (ou du moins de les “neutraliser”) et de ne pas devoir se prononcer sur la dissolution anticipée de la société et reconstituer les capitaux propres dans les délais légaux et réglementaires.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris