Les pouvoirs de représentation du directeur général/directeur général délégué de la SAS à l’égard des tiers (C. com., L. 227-6, al. 3).
Le statut de directeur général ou directeur général délégué (nous n’utiliserons par la suite que le titre de directeur général par commodité) de la société par actions simplifiée (SAS) est complexe car la loi reste vague.
En effet, l’article L. 227-6 du code de commerce indique simplement que “Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article.”
A noter : cette disposition légale est issue de l’article 118 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, lui-même issu d’un amendement du Sénat (Amendement n° 166). Cet amendement visait (Sénat, séance du 20 mars 2003) à préciser “les conditions de délégation au sein de la société par actions simplifiée” suite, notamment, à un arrêt (Cour de cassation, 2 juillet 2002, n° 98-23.324 : “la société par actions simplifiée est représentée, à l'égard des tiers, par son seul président” excluant la représentation de la société par une personne portant le titre de directeur général dont les statuts avaient admis le pouvoir de représentation).
A noter : dans les sociétés anonymes, l’équivalent est le directeur général délégué qui dispose, de par la loi, à l'égard des tiers, des mêmes pouvoirs que le directeur général (L. 225-56, II), ce qui en fait un dirigeant de droit (Cour de cassation, 5 mai 2021, n° 19-23.575), simplifiant les conditions de vérification des pouvoirs.
A noter : le directeur général de la SAS est également un dirigeant de droit sous la réserve de la publicité de cette nomination c’est-à-dire de sa publication et de son dépôt au registre du commerce et des sociétés (Cour de cassation, 19 novembre 2010, n° 10-30.215).
On aura donc compris que pour les sociétés par actions simplifiées, le directeur général tire ses pouvoirs des statuts.
A noter : il convient de distinguer le pouvoir de représentation (celui de pouvoir engager la société vis-à-vis des tiers) du pouvoir de direction (celui de pouvoir gérer la société c’est-à-dire accomplir des actes d’administration et de disposition). Les statuts devront donc être explicite étant précisé que le pouvoir de représentation devra être expressément stipulé dans les statuts et ne pas renvoyer à une décision des associés par exemple ou du président (voir les arrêts ci-dessous de la Cour de cassation du 3 juin 2008 et 14 décembre 2010).
Donc, en l’absence de pouvoir de représentation stipulé dans les statuts, le seul titre de directeur général ne permet pas de déterminer (vis-à-vis de la société ou des tiers « avertis ») si la personne peut représenter la société à l’égard des tiers. Il en va de même de l’inscription de la personne sur l’extrait K-bis (Cour de cassation, 25 mai 2022, n° 20-21.460). Il faut pour cela que les statuts le prévoient expressément (Cour de cassation, 21 juin 2011, n° 10-20.878 ; Cour de cassation, 25 mai 2022, 20-21.460).
A noter : dès lors que les statuts lui donne le pouvoir de représenter la société, le directeur général peut certifier conforme la copie d’acte (avis du Comité de coordination du registre du commerce et des sociétés, 16 juillet 2013, n° 2013-023).
En l’absence de précision du pouvoir de représentation du directeur général dans les statuts, la société et son directeur général subissent une double sanction à l’égard des tiers..
A noter : il faut selon nous comprendre à l’égard des tiers de “bonne foi” (ou non avertis). Des lors que le tiers aurait eu connaissance des statuts (tiers averti), les règles qui suivent ne pourraient s’appliquer, étant précisé qu’en cette matière, la seule publication des statuts ne suffirait pas à faire présumer la mauvaise foi du tiers (voir l’article 9 de la directive européenne visée ci-dessous).
Dans ce cas, le seul titre de directeur général peut être invoqué par les tiers pour engager la société ou, inversement, le défaut de pouvoirs peut également être invoqués par les tiers pour contester l’acte de la société pris par le directeur général.
En effet, les tiers peuvent se prévaloir du pouvoir de représentation sur la base du simple titre de directeur général, sans se soucier si les statuts lui ont conféré un tel pouvoir (Cour de cassation, 9 juillet 2013, n° 12-22.627). La société ne peut donc se prévaloir du défaut de pouvoir de son directeur général.
A noter : cette jurisprudence répond aux craintes des parlementaires lors de la discussion de la loi de 2003 précitée. Alors que certains députés souhaitaient supprimer les titres de directeur général ou directeur général délégué (amendement n° 425), le rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale (suivi par le Gouvernement) indiquait que la commission avait repoussé cet amendement aux motifs que “la proposition qui nous est faite aurait pour inconvénient que les tiers ne sauraient pas d'emblée, sans être obligés de consulter les statuts de la SAS, qui peut la représenter légalement. Voilà un inconvénient qui n'est pas négligeable” (Assemblée nationale, 3e séance du mardi 6 mai 2003).
A noter : cette possibilité de n’invoquer que le titre résulte de l’article 10 de la directive 2009/101/CE du 16 septembre 2009 remplacé par l’article 9 de la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017. Le but recherché par la directive est en effet la sécurité en vue de “protéger” les tiers. Seul le titre (dès lors qu’il est conféré par la loi) suffit, peu important les stipulations statutaires (objet ou limitations).
A noter : selon nous, la situation serait différente si un salarié portait le titre de directeur général aux termes de son contrat de travail ou d’usage interne. Il s’agirait d’un simple titre de “courtoisie”, les conditions légales n’étant pas remplies (à savoir que le titre ne résulte pas d’une stipulation statutaire opposable aux associés mais d’un simple accord contractuel entre la société et un salarié ayant un effet relatif dont les tiers ne peuvent se prévaloir). Il en irait différemment, mais dans ce cas il serait qualifié de dirigeant de fait, si le salarié accomplissait “en toute indépendance” (donc en-dehors d’une délégation par exemple) “des actes positifs de gestion et de direction” avec les risques que cela comporte, c’est-à-dire le risque de comblement de passif sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce (Cour de cassation, 5 octobre 2022 n° 21-14.770). Sur ce dernier point, à noter qu’un salarié portant le titre de directeur général et ayant des pouvoirs extrêmement larges aux termes d’une délégation d’un dirigeant, n’est pas dirigeant de fait s’il ne dépasse pas ses pouvoirs (Cour de cassation, 9 juin 2022, n° 21-13.588).
En d’autres termes, comme l’a résumé admirablement le professeur Dorothée Gallois-Cochet “le pouvoir de représentation du [directeur générale] ne relève pas de la liberté statutaire dans les rapports de la SAS à l'égard des tiers” (Le pouvoir de représentation du directeur général de société par actions simplifiée, Droit des sociétés n° 10, octobre 2013, étude 19).
A noter : entendons-nous bien. Le seul fait de porter le titre de directeur général ne suffit pas au tiers pour invoquer que la société est engagée. Encore faut-il que la personne soit bien un directeur général au sens de l’article L. 227-6, donc soit que le tiers ait connaissance de sa nomination ( L. 123-9) soit que le directeur général soit bien inscrit sur l’extrait K-bis (R. 123-54, 2°, a). Cette règle n’est pas contradictoire avec l’arrêt précité de la Cour de cassation du 25 mai 2022. Si la seule inscription ne donne pas de jure le droit à la personne de représenter la société (sens de l’arrêt de 2022), les tiers peuvent en revanche se prévaloir de cette seule inscription.
Mais, nul n’étant sensé ignorer la loi, les tiers devraient s’enquérir des pouvoirs du directeur général en demandant une copie des statuts à jour.
A noter : certains interprètent l’arrêt précité du 25 mai 2022 comme obligeant les tiers à vérifier que le directeur général est bien habilité statutairement à représenter la société. Nous ne sommes pas certain que la Cour de cassation ait voulu, par un revirement de jurisprudence, instaurer une telle obligation (même si nous la souhaitons) et aller à l’encontre de la volonté du Parlement (voir débats précités ci-dessus). N’a-t-elle pas simplement reproché au premier président de la cour d’appel de ne pas avoir vérifié les pouvoirs statutaires du directeur général vis-à-vis de la société (et non vis-à-vis en l’espèce de l’administration des douanes) pour rendre son ordonnance (un magistrat n’étant pas sensé ignorer la loi) ? En l’espèce le premier président avait reproché à l’administration des douanes de ne pas avoir notifié la visite domiciliaire à la personne présente sur le site car l’administration ne reconnaissait pas son titre de directeur général, ce que lui reprochait le premier président la personne étant mentionnée sur le K-bis, la Cour de cassation reprochant à son tour au premier président de ne pas avoir vérifié que les statuts habilitaient bien le directeur général à représenter la société. Il est difficile, en effet, pour une haute-juridiction de ne pas reprocher à une juridiction inférieure de ne pas appliquer la loi (pour fonder son ordonnance), mais de-là à remettre en cause la volonté du Parlement, les règles européennes et la jurisprudence sur la représentation vis-à-vis des tiers, il y a une différence nous semble-t-il. En fait, cette jurisprudence, au même titre que celle du 15 mars 2023 (voir ci-dessous) rappelle simplement que tout tiers peut invoquer le non-respect d’une disposition légale (en l’espèce que le pouvoir du directeur général ressort des statuts puisque la loi l’a voulu ainsi, la rendant impérative).
Cependant, en droit, de par les dispositions de la réglementation européenne, les tiers ne sont finalement pas obligés de (ou plutôt sont autorisés à ne pas) vérifier le contenu des statuts.
A noter : voir pourtant dans la même veine, la jurisprudence sur les cautions, avals et garanties consenties par les dirigeants des sociétés anonymes, le tiers ne pouvant se prévaloir de l’absence d’autorisation du conseil d’administration, nul n’étant sensé ignorer la loi, c’est-à-dire notamment l’article L. 225-35 du code de commerce. Dans le même sens sur le dépassement de l’objet social (voir notre article). Selon nous, dans la mesure où la loi renvoie expressément aux statuts, le tiers devrait s’enquérir de ces statuts.
A noter : voir l’arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 2023 qui semble également indiquer que dans la meure où la loi (L. 227-9, al. 1) renvoie aux statuts pour déterminer les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient, le respect de ces stipulations statutaires est “essentiel au bon fonctionnement de la société et de la sécurité des actes”. Dès lors que la violation de ces stipulations statutaires “est de nature à influer sur le résultat du processus de décision”, la décision peut être annulée (arrêt n° 21-18.324). Cette jurisprudence, au même titre que celle sur les directeurs généraux, rappelle simplement que tout tiers peut invoquer le non-respect d’une disposition légale (en l’espèce que les modalités de prise des décisions collectives ressortent des statuts puisque la loi l’a voulu ainsi, la rendant impérative).
A noter : donc, dès lors que la loi permettrait d’attribuer un pouvoir de représentation au directeur général (à l’instar de l’article L. 227-6 qui renvoie pour les directeurs généraux aux pouvoirs du président lequel représente la société à l'égard des tiers aux termes de son alinéa 1) cela suffirait à permettre au tiers d’invoquer ce pouvoir quand bien même il n’aurait pas été attribué par les statuts (D. Gallois-Cochet, Le pouvoir de représentation du directeur général de société par actions simplifiée, Droit des sociétés n° 10, octobre 2013, étude 19, §. 7).
Il s’agit donc, au final, d’une sanction à l’égard des dirigeants de “mauvaise foi”.
En effet, inversement, les tiers sont également en droit de se prévaloir de l’absence de pouvoir de représentation de la société du directeur général dans les statuts (Cour de cassation, 3 juin 2008, n° 07-14.457 ; Cour de cassation, 14 décembre 2010, n° 09-71.712 ; Cour de cassation, 21 juin 2011, n° 10-20.878) et notre fameux arrêt précité de la Cour de cassation du 25 mai 2022.
De même, les tiers (en ce compris les administrations) pourraient se prévaloir de l’absence de publicité, notamment de l’absence d’inscription au registre du commerce et des sociétés en application des articles R. 123-54, 2, a) et L. 123-9 précité du code de commerce (cour d’appel de Versailles, 25 juin 2008, n° 08/01978 et 08/02436).
Au final, cela devient, en fait, une question de responsabilité entre la société et son directeur général (c’est au directeur général d’informer le tiers qu’il n’a pas de pouvoir de représentation ou de ne pas conclure l’acte en l’absence d’un tel pouvoir, au risque de faire prendre une responsabilité par la société et d’engager sa responsabilité vis-à-vis de celle-ci et de ses associés voire des tiers comme les compagnies d’assurance).
Avocat au barreau de Paris