SAS, SARL, SCI : usufruitier et nu-propriétaire de parts sociales ou d'actions, quels sont leurs droits (participation, votes, dividendes, droits préférentiels de souscription, AGA, boni) ?

Quels sont les droits des usufruitiers et des nus-propriétaires de parts sociales ou d’actions ?

Ils disposent de droits communs (participation aux décisions collectives, droit de provoquer une décision collective) ou spécifiques (qualité d’associé, vote, attribution préférentiel de souscription, attribution gratuite d’actions, dividendes, distribution de réserves ou de primes, boni).

Qualité d’associé

Alors que le nu-propriétaire est considéré comme associé de la société, l’usufruitier ne l’est pas (article 578, Cour de cassation, 1 décembre 2021, n° 20-15.164 ; 16 février 2022, n° 20-15.164). Mais l’usufruitier dispose de certains droits réservés normalement aux associés.

A noter : cela a donc des conséquences lorsque les textes légaux ou les statuts visent uniquement les associés (“associé indéfiniment responsable”, “à l’unanimité des associés”, “représenté par un autre associé”, dissolution sans liquidation d’une société à associé unique malgré un ou plusieurs usufruitiers). Il en irait de même pour les actes exprimant le consentement unanime des associés (voir notre article), l’usufruitier n’étant pas un associé, en théorie il ne pourrait être parti à un tel acte et les décisions qui ressortent de sa compétence ne pourraient être prises (en théorie, parce que nous sommes d’avis que l’usufruitier pourrait « intervenir » à l’acte).

Droit de communication

Le droit de communication prévu pour les actionnaires de sociétés anonymes (L. 225-118) ne s’applique pas pour les autres sociétés (SARL, SAS, SCI).

Participation aux décisions collectives

L’article 1844 du code civil, de portée générale (applicable à toutes les sociétés sauf disposition légale contraire) dispose que l’usufruitier et le nu-propriétaire ont le droit de participer aux décisions collectives. Les statuts ne peuvent déroger à ce principe qui est un droit intangible (Cour de cassation, 22 février 2005, n° 03-17.421 et 13 juillet 2005, n° 02-15.904).

A noter : il convient donc de prévoir, comme en présence d’un comité social et économique, les conditions d’exercice de ce droit dans les SAS lorsque les décisions sont prises par acte (généralement information préalable avec possibilité de présenter par écrit des observations).

Droit de provoquer une décision collective

L’usufruitier doit pouvoir provoquer une décision collective des associés sur une question susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance (Cour de cassation, 1 décembre 2021, n° 20-15.164 ; 16 février 2022, n° 20-15.164). Cette possibilité n’est permise que pour les sociétés civiles (article 39, décret n° 78-704). Sur la base du même raisonnement, on peut se demander si l’usufruitier dans les SAS ne pourrait pas bénéficier de certains droits d’information réservés aux associés (voir notre article).

Droits de vote

Le droit de vote appartient,au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices où il est réservé à l’usufruitier (1844). Les statuts peuvent déroger à cette règle (même article).

A noter : les règles de l’article L. 225-110 applicables aux sociétés anonymes ne s’appliquent pas aux SAS (L. 227-1).

A noter : on remarquera que le texte vise l’affectation des bénéfices et non du résultat. Donc si le résultat est déficitaire, l’usufruitier n’a pas à prendre part au vote (sauf convention contraire avec le nu-propriétaire). Si le résultat est bénéficiaire, il faut donc indiquer dans le sens des votes, la participation des usufruitiers (et non des nus-propriétaires) et leur vote quant à l’affectation de ce résultat bénéficiaire (report à nouveau, réserve, dividendes).

A noter : la participation des usufruitiers au vote ne concerne que l’affectation des bénéfices. Toute autre décision de distribution leur est donc exclue (sauf convention contraire avec le nu-propriétaire) : distribution de réserves ou de primes par exemple. La question du report à nouveau est plus complexe du fait de sa nature (voir notre article).

A noter : le droit de vote n’appartient qu’au nue-propriétaire pour les obligations (L. 228-66) et les valeurs mobilières donnant accès au capital d’une société (L. 228-66 précité sur renvoi de L. 228-103).

Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l'usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l'usufruitier.

A noter : nous avions des doutes sur la possibilité de prévoir une stipulation statutaire (dérogation permanente) voire une décision expresse contraire des associés lors du vote (acte unilatéral), la loi et la Cour de cassation employant les termes de « convention contraire » ce que ne sont pas les statuts ou une décision des associés (voir sur cette question les développements remarquables de R. Mortier, La fausse équation : réserves + usufruit = quasi-usufruit, Droit des sociétés n° 8-9, août 2015, commentaire 144). Mais, il est admis que les dérogations à ces règles du code civil puissent être permanentes en étant stipulées par exemple dans les statuts de la société (Cour de cassation, 4 janvier 1994, n° 91-20.256), sans toutefois que les statuts puissent supprimer le droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives (Cour de cassation, 22 février 2005, n° 03-17.421 et 13 juillet 2005, n° 02-15.904).

Droit préférentiel de souscription

Selon les dispositions de l’article L. 225-140, pour les sociétés par actions (SA, SAS, etc.) le droit préférentiel de souscription qui est attaché aux titres de capital appartient au nu-propriétaire. Si celui-ci vend les droits de souscription, les sommes provenant de la cession ou les biens acquis par lui au moyen de ces sommes sont soumis à l'usufruit.

Si le nu-propriétaire néglige d'exercer son droit, l'usufruitier peut se substituer à lui pour souscrire aux titres nouveaux ou pour vendre les droits. Dans ce dernier cas, le nu-propriétaire peut exiger le remploi des sommes provenant de la cession. Les biens ainsi acquis sont soumis à l'usufruit.

A noter : le nu-propriétaire est réputé, à l'égard de l'usufruitier, avoir négligé d'exercer le droit préférentiel de souscription aux titres nouveaux émis par la société lorsqu'il n'a ni souscrit de titres nouveaux ni vendu les droits de souscription, huit jours avant l'expiration du délai de souscription accordé aux actionnaires ou associés (R. 225-123).

Les titres nouveaux appartiennent au nu-propriétaire pour la nue-propriété et à l'usufruitier pour l'usufruit. Toutefois, en cas de versement de fonds effectué par le nu-propriétaire ou l'usufruitier pour réaliser ou parfaire une souscription, les titres nouveaux n'appartiennent au nu-propriétaire et à l'usufruitier qu'à concurrence de la valeur des droits de souscription. Le surplus des titres nouveaux appartient en pleine propriété à celui qui a versé les fonds.

Le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir de modalités différentes.

Ces règles applicables aux sociétés par actions pourraient, selon nous, s’appliquer aux autres sociétés de société par une stipulation statutaire expresse. .

Distribution (dividendes annuels ou exceptionnels)

Commençons par la définition. Un dividende (étymologiquement : diviser) n’est pas seulement ce qui est distribué annuellement lors de l’affectation du résultat mais toute somme distribuée aux associés ou actionnaires (autre que du capital ou des primes qui sont considérés comme un remboursement d’apport, à certaines conditions, voir Bulletin officiel des finances publiques, §. 60) au titre des parts ou actions qu’ils détiennent.

Le principe

En la matière, ce qu’il faut distinguer c’est le « fruit » qui seul appartient à l’usufruitier.

A noter : en effet en matière d’usufruit, l’article 582 du code civil dispose que « L'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l'objet dont il a l'usufruit. ». Les dividendes prélevés sur les bénéfices étaient considérés comme des fruits civils (Cour de cassation, 21 octobre 1931) jusqu’à ce que la Cour de cassation ne prenne plus position sur leur nature civile ou non.

La conséquence

L’usufruitier ne peut donc porter atteinte à la « substance » (article 578 du code civil) c’est-à-dire pour les parts ou actions, au capital.

Application aux sociétés

La distinction semble assez simple. Tout ce qui n’est donc pas « fruit » serait « capital ».

Le nu-propriétaire percevrait donc tout ce qui n’est pas un « fruit » c’est-à-dire tout ce qui n’est pas le résultat bénéficiaire de l’activité : distribution ou incorporation de réserves, primes (d’émission, de fusion) ou capital. L’usufruitier percevrait seuls les « fruits » c’est-à-dire le bénéfice distribuable (Cour de cassation, 23 octobre 1984, n° 82-12.386).

A noter : lorsque les dividendes résultant d’un résultat bénéficiaires sont payés par remise de titres de la société, les titres appartiennent à l’usufruitier en plein propriété et non uniquement en usufruit, sauf vote contraire du nu-propriétaire lors de l’émission des titres qui serviront à payer le dividende (Cour de cassation, 3 mars 2009, n° 07-20.515).

A ce titre, l’usufruitier devrait donc percevoir la distribution du report à nouveau bénéficiaire qui est considéré comme un « bénéfice » en attente de distribution.

A noter : comptablement le compte “report à nouveau” est en effet le compte sur lequel est porté le résultat de l’exercice non distribué et non affecté à un compte de réserve (voir article 941-12 du plan comptable général). Il s’agirait d’une réserve « temporaire » (Cour de cassation, chambre civile, 9 mai 1956* arrêt non revu).

Quid des réserves ?

Depuis l’origine, tous les auteurs se sont demandés si les réserves, qui ne sont qu’un mode d’affectation du résultat bénéficiaire, ne sont pas finalement des fruits ?

Position de la chambre civile de la Cour de cassation (sociétés civiles) :

Depuis un ancien arrêt de la cour d’appel de Paris, on estime que le « fonds de réserve » « accroît » le capital (cour d’appel de Paris, 27 avril 1827 à propos de la Banque de France qui était encore à l’époque qu’une société de droit privée) et on considérait donc que les bénéfices qui passent en réserve se « capitalisent et deviennent fonds » (Vavasseur, Traité des sociétés civiles et commerciales, 1897, p. 439, §. 609). Au grand dam de certains commentateurs, c’est un raisonnement similaire qu’a repris, de manière assez maladroite, la troisième chambre civile de la Cour de cassation en 2016 en faisant référence à « l'accroissement de l'actif social » (Cour de cassation, 22 juin 2016, n° 15-19.471 et 15-19.516).

A noter : de manière assez maladroite pour deux raisons fondamentales. En France, comptablement, un bénéfice n’accroît pas l’actif social (l’actif est toujours égal au passif). Il augmente les capitaux propres qui sont une dette de la société envers ses associés (les capitaux propres sont en effet, contrairement aux États-Unis d’Amérique, par exemple, comptabilisés au passif de la société). D’autre part, tant qu’ils ne sont pas distribués, les associés (et encore moins le nu-propriétaire) n’ont aucun droit sur cette créance envers la société (Cour de cassation 10 février 2009, n° 07-21.806). En d’autres termes, les associés n’ont aucun droit sur l’actif de la société tant qu’elle n’est pas dissoute.

A noter : la chambre civile de la Cour de cassation ne prévoit pas l’hypothèse de la convention contraire.

Position de la chambre commerciale de la Cour de cassation (sociétés commerciales) :

La chambre commercial de la Cour de cassation semble tenir le même raisonnement mais à l’envers. Toute distribution « affectant les fonds propres » est « susceptible d'entraîner pour la société émettrice une perte de substance impliquant une baisse de la valeur des actions » (Cour de cassation, 27 février 2001, n° 99-18.646, à propos de distribution de primes).

A noter : on remarquera le raisonnement assez étrange de la Cour de cassation. Toute distribution affecte nécessairement les fonds propres et donc entraîne une perte de « substance ». Donc même le résultat bénéficiaire, qui fait partie des fonds propres de la société affecterait la substance et serait donc incompatible avec un versement à l’usufruitier (à moins de distinguer les capitaux propres, c’est-à-dire tout de ce qui est comptabilisés, des fonds propres, c’est-à-dire tout ce dont la société peut disposer, ce qui n’est pas le cas ds bénéfices tant que ceux-ci n’ont pas été affectés). Il faudrait donc apprécier si la distribution est « susceptible » d’entraîner une perte de substance.

La Cour de cassation n’étant jamais à court d’idée, la chambre commerciale a décidé que l’usufruitier percevrait, sauf convention contraire (comme une stipulation statutaire ou lors de la décision de distribution), pendant l’usufruit, les dividendes prélevés sur les réserves à charge de les restituer en fin d’usufruit au nu-propriétaire selon le principe du quasi-usufruit (Cour de cassation, 27 mars 2015, n° 14-16.246 et 24 mai 2016, n° 15-17.788).

A noter : certains auteurs préconisent une autre solution en se fondant sur l’article 621 du code civil, à savoir que les dividendes prélevés sur les réserves devraient être répartis entre le nu-propriétaire et l’usufruitier selon les principes de cet article (F. Deboissy et G. Wicker, La Semaine juridique édition générale, n° 6, 8 février 2016, doctrine 174).

Selon qu’il s’agit d’une société commerciale ou d’une société civile, les règles ne seraient donc pas les mêmes. Il vaut mieux donc, en attendant un arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation, appliquer les deux régimes selon la nature de la société (commerciale ou civile).

On aura donc compris, il conviendra de faire extrêmement attention lors du paiement des dividendes pour ne pas créer de réclamations à posteriori ni créer des situations qui, si elles ne correspondent pas aux hypothèses légales , pourraient être considérées comme une donation déguisée (entre nu-proprietaire et usufruitier) par l’administration fiscale (une distribution de réserve aux usufruitiers dans une société civile par exemple).

Parts ou titres nouveaux à partir de fonds de la société

Les règles d’attribution des parts sociales ou titres de la société qui seraient émis par prélèvement de sommes sur les capitaux propres (bénéfices, réserves, primes) suivent les règles qui viennent d’être rappelés, sauf convention contraire (stipulation statutaire par exemple). Si les parts ou titres sont émis en contrepartie de dividendes, ils appartiennent en plein propriété à l’usufruitier et s’ils sont émis par incorporation de réserves ou de primes, ils seraient démembrés au même titre que les parts ou titres permettant leur attribution. Mais si l’on devait suivre les mêmes règles que celles du dividende, ces parts ou titres devraient appartenir en pleine propriété au nu-propriétaire (au même titre qu’il percevrait l’intégralité des réserves ou primes) avec la distinction société commerciale/société civile visée ci-dessus.

Attribution gratuite d’actions (AGA)

Les mêmes disposions que pour les droits préférentiels de souscription s’appliquent pour les sociétés commerciales.

Le nu propriétaire est réputé, à l'égard de l'usufruitier, avoir négligé d'exercer le droit à l'attribution gratuite d'actions lorsqu'il n'a pas demandé cette attribution ni vendu les droits, trois mois après le début des opérations d'attribution (R. 225-123).

Boni de liquidation

Le nu-propriétaire aurait seul droit au boni de liquidation.

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris