Un nouvel outil de financement des SARL ? Les obligations convertibles ou remboursables en parts sociales (OCPS/ORPS)
Et de deux. Après la vénérable Compagnie nationale des commissaires aux comptes (Etude juridique 2017-03, décembre 2017, Bulletin n° 188, spec. p. 545), c’est au tour de l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) de considérer qu’une société à responsabilité limitée (SARL) peut émettre des obligations convertibles en parts sociales (comité juridique n° 23-013 du 1er mars 2023).
A noter : pour la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, la possibilité d’émettre des obligations convertibles “en titre de capital” résulte de l’alinéa 2 de l’article L. 223-11 du code de commerce, qui soumet les obligations “aux dispositions applicables aux obligations émises par les sociétés par actions”. Nous ne comprenons pas très bien en quoi ce renvoi permet de justifier l’émission d’obligation convertible puisque les dispositions applicables aux sociétés par actions ne sont pas celles des obligations dites “simples” ou “sèches” (articles L 228-38 à L. 228-90) mais celles des valeurs mobilières donnant accès au capital (L. 228-91 à L. 228-106) auxquelles l’article L. 223-11 ne renvoie pas. Si le régime des obligations dites simples s’applique aux obligations remboursables (par assimilation convertibles) jusqu’à leur remboursement (Cour de cassation, 13 jin 1995, n° 94-21.003 et 94-21.436), l’inverse n’est pas vrai (le régime des valeurs mobilières donnant accès au capital ne s’applique pas de facto aux obligations dites simples).
On sait que le capital social des SARL est divisé en parts sociales (L. 233-2) lesquelles ne peuvent être représentées par des titres négociables (L. 233-12).
A noter : ce principe de non-négociabilité (qui est le cœur du problème) est issu de l’article 21 de la loi du 7 mars 1925 tendant à instituer des sociétés à responsabilité limitée (Journal officiel, 8 mars 1925, p. 2382). Cette disposition a été voulue du fait du caractère intuitus personae de la SARL (pour la différencier des sociétés anonymes, la première loi sur les sociétés à responsabilité limitée de 1863 étant en fait une loi sur ce qui deviendra les sociétés anonymes). Le texte qui avait été proposé au départ par le Gouvernement était des « titres […] à personne dénommée ». La Chambre des députés lui a préféré un texte rejetant « tout titre rappelant les valeurs de spéculation ou pouvant se prêter à un traffic en bourse. Donc pas d’aliénation par les voies commerciales du transfert, de la tradition ou de l’endossement ; la cession des parts sociales est régie […] par les dispositions du droit civil » (F. Chapsal, Des sociétés à responsabilité limitée, Leur régime d’après la loi du 7 mars 1925, p. 49). Ce principe sera repris (p. 1790) par l’article 43 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales qui deviendra l’article L. 233-12 du code de commerce.
En effet, sous peine de sanctions pénales pour le gérant (L. 241-2), une SARL ne peut émettre des valeurs mobilières à l’exception des obligations (voir notre article) qui sont en effet des valeurs mobilières (votre notre article).
Or, les droits sociaux donnant accès au capital à terme, comme une obligation convertible, ne sont prévus par le code de commerce que pour les sociétés par actions (L. 228-91) dont le régime prévoit certaines dérogations (de bon sens) au droit commun comme le fait que l’émission “emporte également renonciation des actionnaires à leur droit préférentiel de souscription aux titres de capital auxquels les valeurs mobilières émises donnent droit” (dérogation à un droit qui semble en effet d’ordre public).
Dans ces conditions, il semblait difficile pour une SARL d’émettre des obligations qui, par suite d’une conversion, donneraient accès au capital de la SARL. Ce droit (obligation convertible) n’est-il pas au final une valeur mobilière dont on vient de voir qu’elle ne peut être émise par une SARL ?
Pour contourner la difficulté, l’Ansa découpe l’opération en deux temps : l’émission obligataire (autorisée par la loi pour les SARL) et l’émission et la souscription des parts sociales par voie de compensation (la conversion). On sait en effet que, même si cela n’est pas prévu expressément par la loi contrairement aux sociétés par actions (L. 225-128), la jurisprudence admet qu’une augmentation de capital d’une SARL puisse être souscrite par compensation de créance (voir notre article). La boucle est bouclée.
Alors que certains soulignent que l’Ansa ne s’est pas prononcée sur la validité du dispositif par rapport à l’article L. 241-2 du code de commerce précité (Bulletin rapide de droit des affaires, 1er juin 2023, n° 11), rappelons que la fraude à la loi se définit comme l’utilisation de moyens légaux pour arrive à une finalité illégale. N’est-on pas dans ce cas ? En effet, ce qu’interdit la loi est l’émission par les SARL de valeurs mobilières, c’est-à-dire des droits sociaux négociables (L. 228-1 qui renvoie aux “titres financiers” qui ont pour caractéristiques - L. 211-14 - d’être négociables). En autorisant l’émission d’obligations (valeurs mobilières librement négociables) qui permettent, in fine, de souscrire des parts sociales (droits non négociables), n’est-ce pas permettre en réalité de librement négocier indirectement des parts sociales (ce qui donnerait un coup de canif au contrat de société de la SARL qui est un contrat fermé puisque certaines cessions de parts sociales sont soumises, d’ordre public, à agrément).
Certes le mécanisme en deux temps proposé par l’Ansa résout cette question puisqu’il faut que les associés se prononcent sur une augmentation de capital pour convertir les obligations, car, contrairement aux sociétés par actions (L. 225-149), la loi ne prévoit pas que la gérance puisse constater l’augmentation de capital du fait de la conversion.
Mais cette proposition nous laisse perplexe. Que se passe-t’il si les associés ne décident pas finalement l’augmentation de capital (par suite par exemple d’un changement dans la composition du capital entre la date d’émission des obligations et la date de demande de conversion) ? Le souscripteur des obligations qu’il croyait convertibles peut-il agir en responsabilité contre la société et les associés qui avaient décidé une telle émission ? N’est-ce pas par ailleurs, dés l’origine, un aléa risqué pour le souscripteur (incertitude quant à la conversion) ? La conversion est en effet souvent le succédané d’une sûreté à défaut de remboursement de l’obligation (si le souscripteur ne peut plus convertir il perd ainsi sa sûreté).
Nous penchons plutôt pour un autre procédé. Au moins trois des quatre mesures suivantes devraient être prises :
1° (Indispensable) Les statuts devraient stipuler la possibilité d’émettre des obligations convertibles qui ressortent de la seule compétence des associés à la majorité prévue pour la modification des statuts (actant de l’accord de la majorité spéciale des associés pour ce type d’opération ).
A noter : cette mesure est également préconisée par l’Ansa dans son étude précitée.
2° (Indispensable) Les statuts devraient stipuler une obligation d’agrément de la cession (ou du transfert ou de la mutation) des obligations convertibles en parts sociales pour conserver le caractère intuitus personae de la SARL
A noter : certains diront que cela est contraire à la nature intrinsèque des obligations, titres négociables. En réalité, il ne faut pas confondre négociabilité et libre négociabilité. Il est possible en droit français de prévoir une clause d’agrément pour des titres négociables (voir article L 228-24 du code de commerce pour les actions).
3° (Indispensable) : Les associés doivent décider, en même temps que l’émission des obligations, une augmentation de capital soit conditionnée à la conversion de tout ou partie des obligations soit à terme en cas de conversion de tout ou partie des obligations.
A noter : la Cour de cassation admet les opérations sur le capital avec condition suspensive (Cour de cassation, 4 janvier 2023, n° 21-10.609 et 21-12.515).
4° (Optionnel) Les associés, au même titre qu’un nantissement (L. 223-15), devraient lors de l’émission des obligations convertibles en parts sociales, agréer tout porteur d’obligations qui souhaiteraient les convertir par la suite.
A noter : mais pour ce dernier cas, si la loi le prévoit expressément pour un nantissement, est-il possible d’agréer par avance un porteur qui ne serait pas connu à l’avance ? A cette question, on peut admettre que si cette faculté a été autorisée par le législateur pour le nantissement c’est certainement pour faciliter l’octroi de crédit aux SARL (en effet, les prêteurs-bénéficiaires des sûretés ne prêteraient pas aux SARL à défaut de pouvoir nantir les parts sociales et exécuter le nantissement en cédant les parts à un tiers). Or, nous sommes dans une hypothèse similaire puisque les obligations constituent un moyen de financement (crédit) pour les SARL. Permettre d’agréer par avance (en cas de conversion) un tiers (à qui les obligations auraient été cédées) non encore connu (à la date d’émission des obligations convertibles) favorise l’émission d’obligations pour les SARL, leur financement et la circulation du crédit.
A noter : agréer par avance un tiers que les associés ne connaissent pas reste tout de même délicat dans les SARL qui sont dans la majorité des cas des sociétés fermées avec un fort caractère intuitus personae. Il nous paraît donc difficile, dans la grande majorité des cas, de prévoir un tel procédé.
Comme pour la cession de parts sociales, (L. 223-17 et L. 221-14) pour que les formalités puissent se faire auprès du greffe, l’assemblée devra modifier les statuts après la conversion. En effet, dans une SARL, l’identité des associés doit être mentionnée dans les statuts (ce qui constitue l’opposabilité de la qualité d’associé erga omnes) et seuls les associés peuvent modifier les statuts (L. 223-30). On retrouve ici le risque visé plus haut que l’on retrouve également en cas de cession de parts sociales (dont on sait que par « simplification » le législateur a imposé la modification statutaire au lieu du simple dépôt de l’acte de cession pour leur opposabilité aux tiers), à la différence que pour ce dernier cas une procédure est prévue à défaut de modification des statuts (R. 221-9). La modification des statuts devrait alors se faire par décision de justice en cas de réticence abusive des associés.
A noter : il serait possible lors de l’émission des obligations d’adopter les nouveaux statuts sous la condition suspensive de la conversion des obligations mais cela reste illusoire. Cela signifierait en effet que l’ensemble des obligations soient converties (sinon il faudrait adopter autant de projet de statuts que d’hypothèse de conversion) et que le ou les souscripteurs originels soient toujours les mêmes que ceux qui convertissent (donc acter dés l’origine l’absence de possibilité de cession des obligations convertibles, ce qui est antinomique avec leur négociabilité et contraire au « droit le plus absolu » du doit de propriété).
Au final, que ce soit la solution proposée par l’Ansa ou celle que nous préconisons, l’émission d’obligation convertible en parts sociales reste en fait une opération sous la condition suspensive d’une décision de l’assemblée des associés. Son intérêt en pratique nous semble donc très limité.
Il appartiendra en tout état de cause aux tribunaux, au même titre que l’augmentation de capital par compensation de créance pour les SARL, de trancher la question.
Si le raisonnement de l’Ansa (ou de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes) était retenu par les juridictions, par extension, on pourrait ainsi admettre qu’une SARL puisse aussi émettre des obligations remboursables en parts sociales (ORPS).
Avocat au barreau de Paris