Cession d'actions non cotées : l'importance de la notification à la société (C. com., R. 228-10 ; C. cass., 18 septembre 2024, 23-10.455).

Depuis la dématérialisation des actions (article 94, II de la loi n° 81-1160 du 30 décembre 1981 de finances pour 1982 et article 1er du décret n°83-359 du 2 mai 1983), la propriété des actions ou des titres financiers résultent en droit français, de leur inscription en compte, le “compte-titres” ou dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé dit “Deep” (inscription : L. 211-3 et titre de propriété : L. 211-16).

L’inscription en compte de l'acheteur ou dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé est faite “à la date fixée par l'accord des parties et notifiée à la société émettrice” (R. 228-10).

La Cour de cassation vient de décider que la date d’inscription fixée par les parties “ne peut être antérieure à la notification faite à la société émettrice” et que l’acquéreur “acquiert la qualité d'actionnaire à la date effective de l'inscription, par la société émettrice, des actions cédées au compte individuel de l'acheteur ou sur les registres de titres nominatifs qu'elle tient” (Cour de cassation, 18 septembre 2024, n° 23-10.455).

A noter : il faut distinguer, selon nous, la date de transfert de propriété et la date d’’opposabilité de ce transfert (comme en matière de vente immobilière). Si la date de transfert de propriété entre les parties (opposabilité inter partes) peut, conformément aux articles 1196 et 1583 du code civil, être librement fixée (comme la date de jouissance, voir notre article sur la question des dividendes) en revanche la date d’inscription donc d’opposabilité du transfert de propriété à la société et aux tiers (opposabilité erga omnes) et donc de la qualité d’actionnaire ne peut être librement fixée puisqu’elle ne peut être antérieure à la notification. A moins alors que l’article L. 228-1 visé par la Cour de cassation prime sur les dispositions du code civil précitées et que le transfert de propriété, même entre parties (inter partes), ne peut résulter que de l’inscription. La question n’est pas théorique (conséquences sur l’exercice des droits de vote, la distribution de dividendes, la qualité de bénéficiaire effectif, etc.). On semble s’orienter vers cette dernière solution (voir également Conseil d’Etat, 9è et 10è chambres réunies, 28 janvier 2019, n° 407305). La cession des titres financiers serait ainsi une cession solennelle (ou plutôt le transfert de propriété nécessiterait un acte solennel comme le droit commun allemand de la vente) et non plus consensuelle (d’où l’importance de prévoir de mécanisme d’exécution forcée, ce qui est souvent déjà prévu dans les pactes d’associés). La vente et le transfert de propriété (qui normalement est attaché de plein droit à la vente dans le droit commun français de la vente) des titres financiers serait donc deux opérations et actes différents.

A noter : le second apport de l’arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2024 serait la reconnaissance que l’inscription n’est pas seulement celle en compte-titres mais peut également résultée de l’inscription “dans les registres de titres nominatifs tenus par la société émettrice”. Ces registres sont visés aux articles R. 228-8 et R. 228-9 du code de commerce. Contrairement à ce que soutiennent certains, ces registres ne sont pas les registres de mouvement de titres lesquels contrairement, aux dispositions de l’article R. 228-9, ne mentionnent pas le domicile de l'ancien et du nouveau titulaire des titres, la valeur nominale des titres ou le capital social et le nombre de titres représenté par l'ensemble des actions de la même catégorie, la catégorie et les caractéristiques des actions. Il s’agit, selon nous, de registres spécifiques (rarement mis en place dans les sociétés lorsque ces dernières sont teneurs de compte) qui reprennent les informations que l’on peut retrouver dans un compte-titres (et encore). A noter que la position de l’arrêt de la Cour de cassation est contraire aux dispositions des articles L. 228-1 du code de commerce, L. 211-3 et L. 211-16 du code monétaire et financier qui ne visent que le compte-titres (ou Deep) et non les registres de l’article R. 228-8 précité. Nous ne sommes pas à l’abri sur ce point d’un revirement de jurisprudence et les praticiens seront avisés de suivre l’orthodoxie des textes (mieux vaut ne pas prendre de risque).

Donc en pratique dès lors que les parties ont fixé une date, la notification doit intervenir au plus tard le même jour si le cessionnaire veut avoir la qualité d’actionnaire à cette date.

A noter : en pratique, l’ordre de mouvement compote une case “notification” et une case “inscription en compte” qui sont contresignées par le représentant légal de la société (lorsque la société est le teneur de compte). Il faut également bien indiquer la date fixée entre les parties pour la cession (certains ordres de mouvement préparés sur la base d’anciens formulaires ne comportent pas cette indication).

La notification de la date fixée entre les parties est donc devenue une formalité substantielle puisqu’elle détermine la date à partir de laquelle cette inscription peut être faite. Il conviendra de voir si une inscription sans notification fait présumer une notification d’une date fixée par les parties ou s’il s’agit alors d’une formalité substantielle sans laquelle l’inscription ne peut intervenir ou est irrégulière.

A noter : par un arrêt du même jour, la Cour de cassation a confirmé un arrêt d’une cour d’appel qui a considéré que le formulaire fiscal Cerfa vaut ordre de mouvement (voir notre article).

Matthieu Vincent

Avocat au barreau de Paris