Convention de portage, de croupier, de prête-nom dans l'acquisition ou la souscription de droits sociaux (parts sociales, actions, etc.) : quelle différence, quel régime ?
Parfois, l’acquéreur ou le souscripteur de droits sociaux (parts sociales, actions, obligations, valeurs mobilières donnant accès au capital, etc.) ne souhaite pas apparaître vis-à-vis des tiers (pour de bonne ou mauvais raison). Plusieurs opérations peuvent être envisagées : le portage, la convention de croupier, le prête-nom. Quelles sont les différences et quel régime juridique et fiscal est applicable à chacune de ces opérations ?
A noter : il est également possible de faire appel à la convention d’indivision (1873-1) pour autant qu’elle reste occulte. Elle devra alors respecter les conditions prévues notamment par le titre IX bis du livre III du code civil pour ne pas être requalifiée en société en participation ou créée de fait (par exemple s’agissant de la durée, voir 1873-3).
La convention de portage
La convention de portage de droits sociaux d’une société (parts sociales, actions, obligations, titres financiers divers, etc.) est une opération (convention) généralement occulte aux termes de laquelle une personne (le porteur) “porte” (détient par voie d’acquisition, de souscription, etc.) temporairement des droits sociaux pour le compte d’une autre personne (le donneur d’ordre) à charge, à l’issue d’une période, de les lui racheter/transmettre (ou de les faire racheter par/transmettre à une autre personne), selon des conditions (notamment de prix) convenues dès l’origine, sans, généralement, que les tiers (parmi lesquels les associés de la société) en aient connaissance. Du fait de son architecture contractuelle réelle (acquisition, promesse de transfert, etc.), la convention de portage est reconnue juridiquement par les tribunaux (sous réserve de la fraude) et son caractère occulte ne la disqualifie pas nécessairement en simulation sanctionnable.
A noter : dans la mesure où le transfert de propriété est de l’essence du portage, la résiliation de la convention devrait entrainer ce transfert même dans le silence de la convention (voir la différence avec la convention de croupier ci-dessous).
La convention de portage implique une promesse de transfert (option d’achat et/ou de vente) et, le cas échéant, une convention de vote.
A noter : un crédit-vendeur n’est pas un portage en l’absence de retard dans le transfert de propriété (Cour de cassation, 23 janvier 2007, n° 05-15.652).
La convention de portage n’étant pas reconnue comme une opération à part entière, elle ne dispose d’aucun régime juridique qui lui soit propre, notamment fiscal (il s’agit ainsi de plusieurs mutations de droit commun, BOI-ENR-DG-20-20-50, §. 90 et 110). Elle peut en revanche être opposée à l’administration s’agissant des revenus perçus par le porteur si elle en est informée (Cour administrative d'appel de Paris, 6 mars 2024, n° 22PA02024) ou à date certaine par un enregistrement (Cour administrative d'appel de Paris, 30 septembre 2014, n° 13PA02567 ; Cour administrative d'appel de Paris, 2 février 2012, 10PA00714 ; Cour administrative d'appel de Versailles, 10 juillet 2008, n° 06VE01860). En revanche, elle dispose d’un régime comptable (PCG, 832-18, 833-18, 835-13).
A noter : elle est ainsi inopposable à administration fiscale en application de l’article L. 64 des livres des procédures fiscales (voir la différence avec la convention de croupier enregistrée et déclarée aux services des impôts).
A noter : la fiducie (2011) peut répondre aux besoins d’une convention de portage.
La convention de portage qui tendrait à faire échec à la loi ou aux droits des tiers pourrait être annulée (Cour de cassation, 27 juin 1989, n° 88-17.654) ou entraîner la repsonsabilité des parties (1123, Cour de cassation, 13 janvier 2020, n° 17-19.963 : “La Cour de cassation retient depuis longtemps le fondement délictuel ou quasi délictuel de l'action en réparation engagée par le tiers à un contrat contre un des cocontractants lorsqu'une inexécution contractuelle lui a causé un dommage”).
La convention de croupier
La convention de croupier est une opération (convention) généralement occulte aux termes de laquelle une personne (le cavalier) “porte” (détient par voie d’acquisition, de souscription, etc.) de manière permanente ou temporaire des droits sociaux pour le compte d’une autre personne (le croupier) à charge de partager les droits financiers attachés à ces droits sociaux et, le cas échéant, de transférer ces droits sociaux au croupier à l’issue de l’opération.
A noter : cette convention était au préalable expressément prévue par le code civil (1861 ; reprise de Pothier, Traité du contrat de société, p. 483, §. 91 et s.).
A noter : la convention doit prévoir le partage des bénéfices et des pertes (Cour de cassation, 20 juillet 1964, n° 403).
A noter : à défaut pour les parties d’air prévue le transfert de propriété, la résiliation de la convention n’entraîne pas transfert des droits sociaux au croupier (Cour de cassation, 30 novembre 2022, n° 21-15.182).
La convention de croupier serait assimilée à une société en participation (Cour de cassation, 15 décembre 1998, n° 97-15.897, visant la “convention en participation”) ou, pour certains, une vente si elle porte sur la totalité des droits sociaux du cavalier (l’arrêt précité de 2022 portait sur 95 % des droits).
A noter : dans ces conditions, les dispositions fiscales en matière de sociétés en participations peuvent s’appliquer (BOI-IS-CHAMP-10-40, §. 90 et s.) et la société en participation peut ainsi opter pour l’impôt pour les sociétés (206-3, 3°). Les actifs mis en commun par les associés d’une société en participation doivent être inscrits à l’actif de la société sous réserve que les revenus soient imposables dans la catégorie des BIC, BNC ou BA ou revenus assimilés (238 bis M).
La convention de prête-nom
La convention de prête-nom est une opération (convention ou contre-lettre) occulte aux termes de laquelle une personne (le prête-nom-mandataire) réalise une opération apparente (vente, souscription) avec un tiers qui ne le sait pas, pour une autre personne (le donneur d’ordre-mandant) en vue de dissimuler l’identité de cette dernière.
A noter : la convention de prête-nom est souvent confondue avec l’interposition de personne qui implique ds l’origine la connaissance par le tiers de la qualité de “prête-nom” de son cocontractant.
A la différence de la convention de portage, l’opération est une simulation dès l’origine, alors que la convention de portage est une opération de “pension” des droits sociaux (détention “dans l’attente de”), le porteur étant le véritable propriétaire contrairement au prête-nom qui ne l’a jamais été dès l’origine (entre les parties à la convention de prête-nom). C’est la raison pour laquelle, en cas de prête-nom, le bien peut être immédiatement réintégré dans le patrimoine du donneur d’ordre-mandant, même en l’absence de fraude aux droits des tiers. La simple connaissance du prête-nom suffit (article 1201 ; Cour de cassation, 18 mai 2017, n° 16-14.750 ; 17 février 2009, n° 08-10.384), sauf si le tiers est partie à la simulation (Cour de cassation, 8 juillet 1992, n° 90-12.452).
En matière de droit d’enregistrement, la convention de prête-nom est traitée comme une convention de portage (double mutation), sauf si le prête-nom indique dans l’acte qu’il intervient en simple qualité de mandataire ou qu’il achète pour le compte d'un tiers dont il s'est porté fort (BOI-ENR-DG-20-20-50, §. 120 et 130).
La convention de prête-nom entraîne une rétrocession du bien au donneur d’ordre (Cour de cassation, 11 février 1976, n° 74-13.003 et 74-13.091).
Avocat au barreau de Paris